Entre 8 mars et 8 mai, le printemps sera électoral cette année 2020 et cet « entre-deux-mois » offre l’opportunité de réinterroger notre histoire sous l’angle de la voix des femmes en politique.
Jeanne suffragette ?
Ici à Orléans, la ville dont l’héroïne, à dimension nationale, est une jeune femme, les Voix de femmes ont une histoire. Si on les entend depuis près de 600 ans, les écoute-t-on ? L’interrogation date au moins des lendemains de la Grande Guerre, lorsqu’en dépit du rôle majeur tenu par les « remplaçantes » dans la mobilisation, les parlementaires français, au prétexte du danger clérical, refusèrent à plusieurs reprises de voter pour l’établissement d’un suffrage réellement universel.
Des tracts sont alors distribués dans la cité johannique, à la faveur du 8 mai, pour relever que « Jeanne aujourd’hui ne pourrait pas voter », paradoxe au moment de sa canonisation.
Libération conditionnelle
Enfin à la Libération, grâce à la Résistance et au gouvernement de Gaulle, les premières femmes entrent au conseil municipal d’Orléans, avocates, institutrices, et Mlle Parisot, proviseur de…Jeanne d’Arc, bien sûr, le lycée de jeunes filles.
Si beaucoup de femmes ont tenu des fonctions et mené des actions d’envergure, de France Le Pennec auprès de René Thinat à Murielle Sauvegrain en passant par Micheline Praehecq et Marie-Madeleine Miallot auprès de Jean-Pierre Sueur, aucune n’a accédé à la mairie d’Orléans, pas plus qu’à la présidence du conseil départemental du Loiret ou de la région Centre-Val de Loire.
La loi et le fait : parité bien ordonnée commence par l’exécutif
En revanche, les dispositions législatives électorales contraignantes ont tordu le bras au machisme ordinaire des partis pour les amener à composer des listes paritaires, y compris au moyen des tandems cantonaux. Résultat sensible, la parité des assemblées a enfin très massivement progressé, mais pas encore celle des fonctions présidentielles ou exécutives : le Sénat, l’Assemblée nationale attendent encore leur première présidente, comme la majorité des départements et régions.
Réunion de Préfets avec Edith Cresson
Au sommet de l’Etat, le douloureux feu de pailles d’Edith Cresson n’à jamais connu de prolongement, ni à Matignon, ni à l’Elysée, et 2022 n’en annonce guère. Seules les métropoles (Lille, Nantes, Rennes…) ont fait confiance à des femmes, de gauche, pour gérer leur quotidien et préparer leur avenir, et Paris se fait même une spécialité de réserver de fait aux femmes de briguer l’hôtel de ville avec des chances de succès. Mais ailleurs, dans la grande majorité des 35 000 communes, on en reste bien souvent à la répartition traditionnelle qui confine les élues aux affaires sociales et à la petite enfance, et les hommes aux finances et à la sécurité.
Warning Warren
Outre-Atlantique, en dépit d’une forte poussée des nouvelles élues au Congrès lors des élections de mi-mandat en 2018, avec pour figure de proue Alexandria Ocasio-Cortez, les primaires démocrates ont une nouvelle fois, après l’échec d’Hilary Clinton en 2016, montré la difficulté pour une femme d’accéder à la Maison Blanche. Les déclarations ambiguës de Bernie Sanders, pourtant ami de la brillante et solide Elizabeth Warren, l’échec de la modérée Amy Klobuchar, pourtant pugnace lors des débats – les deux candidates plébiscitées à juste titre par le New York Times laissent le champ libre au combat singulier de deux quasi octogénaires, alors que le président républicain sortant fait rimer supremacisme avec sexisme.
Le résilient Joe Biden possède désormais de bonnes chances de défier Trump, mais il est légitime de poser la question : avec ses faiblesses et ses absences, s’il était une femme, « sleepy Joe » serait-il toujours en course ? La présence de l’une des deux sénatrices sur le strapontin du ticket démocrate ne serait, dès lors, qu’un bienvenu mais trop modeste lot de consolation.
Femmes au Centre
Simone Veil à linauguration du CERCIL
Plus près de nous, comment ne pas saluer l’initiative du Ceser Centre-Val de Loire, assemblée consultative régionale représentant la société civile à travers ses organisations, de son président Eric Chevée et de sa vice-présidente Fatim Labib d’avoir programmé, en ce lendemain du 8 mars, le vernissage, devant l’hôtel de région, de l’exposition « Égalité Oceser » qui célèbre des parcours exceptionnels de femmes au combat sur tous les fronts : des pionnières Christine de Pisan, notre George Sand de la Vallée noire, aux militantes Olympe de Gouges, Louise Michel, Rosa Parks, Simone Weil, des artistes Jeanne Jozon et Nicole Caplain aux avocates Jeanne Chauvin et Gisèle Halimi, de la suffragette Hubertine Auclert à la Résistante orléanaise Olympia Cormier, de l’historienne Michelle Perrot jusqu’à la lanceuse d’alerte Adèle Haenel, un Panthéon vivant impressionnant et diversifié de grandes figures aptes à nous faire passer de la place des Grands Hommes à l’avenue des Grandes femmes.
Et d’arrêter définitivement de considérer qu’une grande femme est uniquement et nécessairement « cachée derrière chaque grand homme ».
Peste féminicide
Puisse ce 8 mars constituer un pas réel vers une société civile avec elle-même, civilisée et bienveillante. débarrassée du cancer des féminicides, des violences faites aux femmes et du sexisme ordinaire par des mesures aussi déterminées qu’en Espagne. Oui, il y a des virus tout aussi contagieux et qui méritent autant mesures d’hygiène sociale et de confinement que la nouvelle « grippe espagnole » venue par les routes de la soie.
Pierre Allorant pour Magcentre
Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien