Dans O samba do crioulo doido (la samba du nègre fou), présenté mercredi soir à la Scène nationale dans le cadre des Soirées Performances, un danseur noir et nu nous aguiche et fait jouer tous les muscles de son corps magnifique. Passé le trouble, une véritable communication s’installe et la danse rythmée par la samba raconte une histoire de souffrance et de mépris.
Luiz De Abreu est un chorégraphe brésilien désormais aveugle. En 2004, il a créé une pièce pour un danseur solo, O samba do crioulo doido, qui est devenue dans le monde de la danse et dans le public brésilien un véritable classique. Jouée de nombreuses fois avec grand succès dans ces années de libération politique, cette pièce décortique, comme tout le travail de Luis De Abreu, le fonctionnement du racisme. On sait que le Brésil est un pays de grand métissage, qui a vu l’arrivée massive d’esclaves noirs dans les siècles passés. Cette question reste au cœur de la société.
O samba do crioulo doido vient d’être reprise à l’initiative du Centre national de la danse et du festival Panorama de Rio. Calixto Neto, jeune danseur brésilien qui travaille souvent en Europe, s’y est attelé avec le créateur en mentor.
Corps noir, corps nu, corps ambigü
Nu mais en bottes de carnaval, ou de prostitué peut être, le corps magnifique du danseur ondule d’abord dans l’ombre avec une grâce qui ne le quittera plus de tout le spectacle. Sur des bruits d’eau – la traversée de l’Atlantique au fond d’une cale sombre ? – la lumière petit à petit permet au danseur de se montrer. Vraiment et en entier. Montrer ses muscles, montrer comment il sait les utiliser, faire bouger ses omoplates ou tressauter ses fesses, montrer l’effet d’une respiration. Toujours dans la grâce, même si « la viande noire est la moins chère du marché », nous annonce une voix. Car tout se mélange, la condition d’esclave, d’inférieur, de méprisé, qui n’a rien d’autre à vendre que son corps, et la beauté de ce corps, l’élégance de sa danse, l’ironie de son intelligence. Qui le pousse, sur la fin, à danser avec le drapeau brésilien, parce qu’au-delà de sa négritude, il lui appartient, ce pays, c’est le sien, c’est son identité.
Evidente actualité cette chorégraphie
La pièce de danse dure une vingtaine de minutes. Un film a suivi, montrant le travail de Calixto avec Luiz et le reste de l’équipe. Le chorégraphe aveugle touche le danseur pour le diriger. Totalement étrange et totalement merveilleux, cette proximité, cette collaboration par les mains.
Calixte a expliqué ensuite son enthousiasme à jouer cette œuvre, regrettant que les changements politiques du Brésil rendent « dangereux d’aller la présenter là-bas ». Dans un Brésil au pouvoir très blanc et très dictatorial, on comprend aisément ce danger, tant cette samba folle est chargée de questions fortes autour de la société brésilienne, de l’image que donne ce pays avec le carnaval qui vend des clichés plutôt que l’émancipation.
BC
O samba do crioulo doido – La samba du nègre fou
Conception, direction, chorégraphie, scénographie, production : Luiz de Abreu
Interprète : Calixto Neto
Création lumière : Luiz de Abreu, Alessandra Domingues
Bande son : Luiz de Abreu, Teo Ponciano
Scene Nationale d’Orléans