Zvizdal, village non loin de Tchernobyl, nom qui porte en lui une terreur absolue, a été évacué dans l’année 1986, suite à la catastrophe nucléaire. Cette première Soirée Performance de la Scène Nationale d’Orléans nous présente sous une forme de théâtre documentaire, un couple, agé alors d’une soixantaine d’années, qui a refusé de quitter sa ferme, sa terre, sa vie. Le groupe Berlin a décidé d’aller les filmer en 2011. Pour rendre compte de leur vie quotidienne, ils y sont allés deux fois par an pendant cinq ans. Ils ont ensuite travaillé un dispositif scénique pour en faire un spectacle proposé mardi soir en ouverture des Performances à la Scène nationale.
Petro et Nadia, le vieux et la vieille, ont autour de 85 ans. Maigres mais vaillants, ils font tout sur leur ferme, à leur mesure, puisqu’ils vivent en autosuffisance complète. Le premier voisin est à 12km, et ils n’ont pas de voiture, pas d’électricité, pas de téléphone. Coupés du monde. Depuis 35 ans ! Une vache, un cheval, un chien. La campagne comme on peut imaginer celle du monde avant le développement moderne. Les routes goudronnées commencent à être envahies par la végétation, et la forêt reprend des airs de forêt primaire.
Tout ce que contient le mot Tchernobyl n’est pas abordé. Le sujet des images que l’on voit sur l ‘écran, c’est eux, ce couple de vieux. Leurs déplacements à pas lents autour de leur terre, leurs efforts pour fermer la barrière qui retient les animaux, leur moments de repos sur un banc, au soleil, dans une nuée d’insectes presque absents désormais dans le monde actuel.
Rester jusqu’au bout sur sa terre
Le collectif Berlin, deux flamands et une française (Bart Baele, Yves Degryse et Cathy Blisson) ne sont jamais entrés dans leur maison. Ils racontent que parfois, au bout d’un quart d’heure, ils se faisaient virer. C’est dire si les deux vieux ne « jouent » pas, gardent une grande distance avec la caméra. Et pourtant, on comprend beaucoup de leur relation, de leur vie passée, de la solidité de leur couple. Et de leur solitude aussi. Leur rudesse, à tout deux, en découle, tempérée par l’humour. Elle a beau avoir des jambes toutes déformées, elle ne capitule jamais. Elle restera jusqu’au bout sur la terre qui l’a vue naître, « parce qu’il n’y a que là qu’on peut être bien ».
Un véritable spectacle documentaire
Berlin montre ce film-documentaire dans un dispositif tout à fait particulier. Sur un écran dressé au dessus de trois maquettes de la ferme de Nadia et Petro à trois saisons différentes, des images de ces maquettes prises en direct s’intercalent parfois aux images du documentaire. Puisque le couple n’a pas permis aux cinéastes de rentrer chez eux, elles pallient le flou de certains détails. La vache et le cheval morts peuvent alors apparaître sur l’image, par exemple. Mais en même temps, elles font de cette performance un véritable spectacle, une sorte de jeu réunissant information et art.
Reste que dès le départ, on sait que ce document montre Tchernobyl. Les difficultés d’obtenir des autorisations pour y aller, racontées au début, nous le rappelle clairement. Et toutes les interrogations nous reviennent : des siècles de radioactivité, une zone incroyablement dangereuse, des anomalies dans la flore et la faune. Et voilà que ces deux vieux vont mourir quasi devant la caméra de leur « belle » mort et que la nature a l’air plus préservée que dans nos campagnes. Les images d’été à Zvizdal semblent paradisiaques !
C’est aussi la force de ce travail. Montrer qu’au milieu d’une telle catastrophe, un couple d’octogénaires se vanne encore sur les infidélités impossibles faute d’autres partenaires. Montrer la chaleur humaine, positive et admirable, plutôt que les chiffres effroyables de la catastrophe, c’est vraiment un choix artistique.
BC