Le Film de la semaine
Dark Waters est avant tout le projet de l’acteur Mark Ruffalo, qui a acheté les droits d’un texte de Nathaniel Rich. Acteur militant écologiste, il a voulu faire de cette histoire un étendard et a contacté Todd Haynes pour le réaliser. Haynes s’est lancé dans l’aventure.
Credit : Mary Cybulski
Le travail de Ruffalo sur le personnage de Robert Bilott, l’avocat qui s’est emparé de l’affaire du téflon, est tout à fait remarquable. Il se transforme en petite boule pas très sympathique, un peu mou mais compact, avec toujours l’air d’arriver d’ailleurs, une moue qui lui déforme les lèvres, une tension constante et une parole douce et parcimonieuse, alors qu’il a envie, on le sent, d’exploser. Il y a bien sûr une progression, mais l’avocat d’affaire du début est exactement le même que l’avocat « cauchemar » de DuPont. La rigueur fonctionne vraiment bien.
Le cas du téflon, une horreur catastrophique
Le scénario utilise le changement quasi politique de Robert Bilott. On découvre le problème avec lui. Les 190 vaches mortes d’un paysan qui habite à côté d’une usine DuPont fabriquant du téflon donnent le cadre. Mais lorsqu’on s’attaque à une machine industrielle aussi développée que DuPont, il faut s’attendre à une lutte implacable contre un Goliath sans âme. La volonté, la perspicacité de l’avocat vont devenir ses armes. Ce n’est pas nouveau dans le cinéma américain, les films d’avocats étant légion. Mais ici, la lutte est vraiment mise en scène, sur les vingt années de son déroulement. Loin de se cantonner aux procès, même s’ils sont abordés, le scénario nous entraine dans les arcanes du cas téflon avec minutie et clarté. Les relations humaines qui entourent Robert font le reste, elles apportent l’émotion, elles dressent une analyse quasi sociologique de telles affaires, les victimes ostracisées parce qu’elles dénoncent l’employeur, les réactions de l’entourage, la violence qui en découle, la moquerie des collègues défenseurs de l’industrie, la gigantesque puissance de l’argent.
L’art au service de la cause…
Et là, Todd Haynes reparaît dans son film. Il est certes moins personnel que certains de ses précédents, comme Loin du Paradis ou Carol. Pour une fois, il ne s’agit pas de marginaux ou de minoritaires, mais de victimes. Qui représentent tout le monde, le peuple, puisque tout le monde boit de l’eau et beaucoup habitent près d’une usine. Le regard du réalisateur est moins évident, moins personnel, mais il met, comme Mark Ruffalo, son énergie et son savoir-faire au service de la cause.
Du savoir-faire, il y en a ! L’image est soignée, les mouvements de caméra efficaces, les plans assez longs suivent le personnage, l’action. Comme dans ce parking quasi désert, ou ces couloirs de bureaux. Chaque séquence ne garde que l’information nécessaire mais ne s’empêche pas de s’attarder sur la beauté de l’image, les dossiers alignés, la montagne de papier, la ferme vue d’en haut, la ville derrière les fenêtres du bureau. Le traitement de la couleur, un peu sinistre, dans les gris-vert, correspond tout à fait aux années évoquées et à l’ambiance des grands cabinets d’avocats. Détails, mais qui font de ce film au contenu terrible une très belle réalisation.
… mais sans militantisme
La condamnation de cette industrie chimique qui tue en toute conscience au nom du saint profit fait évidemment froid dans le dos, surtout lorsqu’elle est portée par un travail artistique de cette qualité. Pourtant Todd Haynes n’a jamais été militant, il ne donne pas de consigne de vote. Artiste engagé, certainement, il fait magnifiquement le travail, dans l’engagement comme dans l’art cinématographique. Mais à chaque spectateur de prendre ses responsabilités.
BC
Dark Waters
Réalisé par Todd Haynes
Scénario Matthew Carnahan, Mario Correa, d’après le texte de Nathaniel Rich The Lawyer Who Became DuPont’s Worst Nightmare
Avec Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Tim Robbins, Bill Camp, Victor Garber
Directeur photo Edward Lachman