Family machine, générations répétitives mais spectacle original réussi

Roser Montllo Guberna et Brigitte Seth travaillent ensemble depuis 1997 au sein de la compagnie Toujours après minuit. Elles ont choisi pour le spectacle présenté jeudi soir à la Scène nationale, Family machine, un texte de Gertrude Stein, son « œuvre majeur » comme dit elle-même l’écrivaine avant-gardiste américaine très francophile. Du texte répétitif et tautologique, elles font un spectacle enlevé magnifique à regarder.

L’une, Roser Montllo Guberna, est danseuse d’abord. L’autre, Brigitte Seth, comédienne et danseuse. Toutes deux sont metteurs en scène. Ensemble. Elles connaissent bien les écrits de Gertrude Stein, et ont choisi de monter et de jouer des extraits d’Américains d’Amérique. Le texte est sur un mode à tendance répétitive, comme souvent chez Stein. Mais son message, si message il y a, est justement celui-là : les familles se répètent, les gens naissent, meurent, les cycles de vie se reproduisent à l’identique, on vieillit tous, on change suivant l’âge. On a des rôles avant même notre apparition sur la scène, mère, frère ou petite-fille, que l’on remplit ou pas. Rien de nouveau sous les spots lights. Le ton du texte comme du spectacle est léger et amusant, ce qui fait passer haut la main le sur-place des mots, au demeurant agréablement transmis.

Mise en scène, éclairages et musiques

Mais c’est la mise en scène qui fait tout l’intérêt. La simplicité du dispositif, juste un sol couvert de copeau de bois comme un cirque et des éclairages qui dessinent l’espace, les espaces. Et puis le choix des musiques, magnifiques, elles aussi très répétitives mais c’est tout de même un courant capital de la musique américaine. Le groupe d’acteur.rice.s-danseur.euse.s passe et repasse, serpente sur la route vers l’ouest, ou vers l’Amérique de leur futur. Les mères débarquées du vieux continent enfantent sur le nouveau, peuplent ces espaces en édifiant des familles comme partout. Conduits par une sorte d’égérie, les familles suivent le rythme, avancent en se tenant comme des enfants jouant à la chenille. Les éclairages, les couleurs unies des robes, les regards fixés vers des horizons qu’on ne voit pas font évidemment penser à Edward Hopper, à ces personnages qui regardent le soleil en attendant de décoller du réel. Ces silhouettes colorées se détachent sur le fond noir de la scène racontent plus que les mots prononcés.

Les moments de danse comme points forts du spectacle

Chacun prend la parole pour expliquer son cas dans des séquences amusantes, avec des trouvailles visuelles intéressantes. Les moments de véritable danse sont prenants, qu’il s’agisse de soli, de duo ou de trio. On ne fait plus vraiment le lien avec le texte, mais au fond peu importe. Roser nous offre un magnifique solo, dans sa robe verte totalement rétro et ses gestes précis. En quelques secondes, elle est au cœur de son art, égrenant sa personnalité de danseuse virtuose avec intensité. Et les trois jeunes, un peu plus tard, feront de même, dans un mode plus fouillis mais avec des clins d’œil à la danse de Matisse, peintre que Gertrude Stein a défendu, en tous cas acheté. Des danses de café-concerts d’Amérique d’avant-guerre avec leur musique spécifique ouvrent avec brio le propos. Tout est simple et juste et apporte une belle ouverture sur le thème.

Spectacle indéfinissable, tant il mélange les arts de la scène, les mots comme l’expression du corps ou l’importance du visuel. L’ensemble fonctionne en un tout cohérent et construit un très bel échange avec le public.

BC

Family Machine

Extraits de Américains d’Amérique de Gertrude Stein (The making of americans)

Mise en scène, chorégraphie, adaptation : Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth

Acteurs et danseurs : Jim Couturier, Louise Hakim, Théo le Bruman, Roser Montlló Guberna, Christophe Pinon, Brigitte Seth, Élise Vigier

Musique : Hugues Laniesse

Lumière : Guillaume Tesson

 

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