Le Film de la semaine
Alejandro Amenábar a déjà quelques énormes succès à son actif. Il se lance, avec Lettre à Franco, dans une reconstitution réussie du début de la guerre civile espagnole. En choisissant d’entrer dans cette période terrible de la fin de la République espagnole par le point de vue d’un intellectuel républicain et conservateur, mais homme libre et très critique, le réalisateur prend ses distances avec une analyse partisane.
Miguel de Unamuno était un intellectuel d’origine basque enseignant le grec à l’université de Salamanque. Il en est devenu le doyen. Déjà âgé mais encore en poste en 36, il salue d’abord la prise de pouvoir par la junte militaire, et même la soutient par un don financier.
Alejandro Amenábar, scénariste de son film, utilise cette figure haute en couleurs pour entrer dans la période compliquée de la prise du pouvoir de Franco au sein de la junte militaire. Le film commence à Salamanque sur la Plaza Major, ou Franco et ses militaires annoncent les nouvelles mesures tandis que des opposants sont éliminés.
Salamanque, un décor idéal
Le décor est dressé. Les magnifiques rues de Salamanque et son université séculaire donnent une profondeur à la narration, rappelant le glorieux passé chrétien de l’Espagne que tous ces militaires veulent retrouver. Unamuno, intellectuel reconnu et respecté, partage cette fierté traditionnelle espagnole. Mais c’est un être ouvert. Ses discussions quotidiennes au café avec deux de ses anciens élèves, un prètre protestant et un communiste, lui font confronter son point de vue.
Quand le nouveau pouvoir commence à éliminer les intellectuels, les francs maçons et les rouges, il n’y croit d’abord pas, jusqu’à ce que ses amis disparaissent, le deuxième sous ses yeux. Et pourtant il ne réagira que plus tard, le jour de la fête de la race, une grande manifestation fasciste à l’université. Ce qui sera le début de sa fin.
Le public et l’intime
Franco, tout au long du film, reste un peu dans l’ombre, figure un peu falote, comme si au fond il se retrouvait au pouvoir malgré lui. Le général Millan Astray, fondateur de la légion espagnole, manchot et borgne, personnage autrement plus cinématographique, lui sert de faire valoir. Sa devise « Viva la muerte » sera le socle du rebond de Miguel de Unamuno, inlassable défenseur de la vie, qui leur lance « vous vaincrez, mais ne convaincrez pas ».
La guerre d’Espagne est trop complexe pour que les récits qui l’abordent soient complets et totalement satisfaisants. Amenábar s’en tire plutôt bien en évitant l’ornière de gauche et l’ornière de droite. Il conduit son histoire en s’attachant à la vie de famille d’Unamuno, ses filles et son petit fils. Cela lui permet d’enrichir assez joliment la problématique du film, amenant des arguments au débat d’idées. Et lui offrant de belles séquences cinématographiques.
Un film à grands moyens
L’image, très soignée tout au long du film, rentre dans les intérieurs sombres comme dans des peintures classiques espagnoles. La finesse du monde intellectuel et la violence primaire fasciste sont un peu manichéennes, mais les effets fonctionnent. Maîtrise de la reconstitution, qualité des acteurs, importance évidente de moyens, Amenábar nous propose un travail classique par excellence, sans trouvaille mais sans faiblesse, qui ne va pas bouleverser la mémoire de la guerre d’Espagne, mais qui reste un beau moment de cinéma.
BC
“Lettre à Franco”
(Mientras dure la guerra, titre espagnol : Tant que durera la guerre)
Réalisateur scénariste Alejandro Amenábar
Acteurs Karra Elejalde, Eduard Frenandez, Santi Prego,a Lopez Arnaiz
Directeur photographie Alex Catalan