La philosophe-écrivaine belge Nadia Geerts était l’invitée d’une conférence-débat sur le droit de mourir dans la dignité ce mercredi 29 janvier à Orléans autour de son livre L’après-midi sera courte. Plaidoyer pour le droit à l’euthanasie (2018, Editions l’Harmattan). Un événement proposé par le Laboratoire Loiret de la Laïcité afin de contribuer au débat sur cette épineuse question de l’euthanasie à propos de laquelle la France refuse de légiférer, contrairement justement à la Belgique. Nadia Geerts a bien voulu accorder un entretien exclusif à Mag Centre.
Nadia Gerts, philosophe belge auteure du livre L’après-midi sera courte. ©NadiaGeerts/twitter
Sophie Deschamps : Comment est née l’idée de ce livre?
Nadia Geerts : Ce livre c’est d’abord le récit de l’accompagnement de fin de vie de ma maman qui est décédée en mars 2018 à 86 ans. Un vécu très particulier, je dirais extra ordinaire. J’ai donc commencé par relater cela avec la volonté de ne pas avoir un discours dramatique mais de montrer au contraire à quel point j’ai ressenti un soulagement car selon moi, la mort de ma maman a été une belle mort. Donc je n’ai aucun regret, aucune souffrance, si ce n’est évidemment la souffrance du deuil. J’ai trouvé que cet accompagnement était une richesse, qui m’a permis de la voir partir de manière sereine, et vice-versa d’ailleurs, puisqu’elle a pu mourir tout à fait paisiblement.
La seconde partie du livre est toutefois beaucoup plus argumentée et construite, puisqu’elle essaie de faire le tour de la législation en Belgique en comparaison avec ce qui se passe en France, et en Suisse. C’est aussi une réflexion sur ce qui selon moi n’est pas encore au point en Belgique malgré cette loi (depuis 2002).
S.D. : Est-ce-que selon vous cette loi a entrouvert la porte à d’éventuelles dérives ?
N.G. : Non, ce n’est pas sous l’angle des dérives possibles que je critique cette loi, parce que je n’ai pas l’impression qu’elles existent. Evidemment, c’est difficile de le savoir mais on peut constater que le nombre d’euthanasies n’a pas explosé depuis 2002 en Belgique [même si elles augmentent régulièrement]. Ça reste de l’ordre de 1 à 2 % des décès donc c’est vraiment très minime.
Par contre, notre grande erreur a été de croire que cette loi allait tout régler. Or, ce qui selon moi reste la grande faiblesse du système, c’est le manque de formation du personnel soignant. Nous ne nous sommes pas assez souciés de savoir comment accompagner les personnes qui demandent l’euthanasie et encore moins l’entourage. C’est tout de même quelque chose d’extrêmement particulier, qui mérite une attention particulière. Il faut donc former les médecins non pas au geste qui est d’une simplicité déconcertante. La question c’est : comment discute-t-on avec le patient, comment s’assure-t-on que c’est bien sa volonté, comment encadre-t-on les proches, comment éventuellement amène t-on l’entourage à accepter la décision du malade ?
S.D. : Ça pose très concrètement la question de l’anticipation de cette fin de vie. En France la loi Léonetti-Claeys de 2016 insiste justement beaucoup sur l’importance des directives anticipées, puisque ce sont elles qui font désormais autorité vis-à-vis du corps médical.
N.G. : Oui, sauf que cette loi ne permet pas l’euthanasie. Elle permet simplement l’arrêt des soins lorsque la situation du malade est désespérée. Mais ça reste quand même à mon sens insuffisant parce que ça peut aboutir à des situations extrêmement douloureuses. A partir du moment où on arrête les soins ou que l’on laisse quelqu’un mourir de déshydratation, ce n’est pas gai. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs avec Vincent Lambert (Voir Mag Centre 23/05/2019) il y a quelques mois. Enfin, il a eu cette mort qui pour moi ne peut être qu’une délivrance car nul ne peut affirmer qu’il n’a pas souffert.
S.D. : Est-ce-que malgré tout, il y a des soins palliatifs de qualité en Belgique ?
Nadia Geerts : “L’après-midi sera courte” Plaidoyer pour le droit à l’euthanasie”
N.G. : Oui bien sûr ! Ils sont même très développés. Je dirais que chez nous on a même dépassé cette opposition traditionnelle entre euthanasie et soins palliatifs car l’euthanasie est de plus en plus considérée comme faisant partie des soins palliatifs. On parle même de soins palliatifs intégraux. c’est-à-dire qu’ils accompagnent la personne dans sa fin de vie, jusqu’à la mort choisie si c’est ce qu’elle veut. Evidemment, il y a de nombreux patients qui passent par ces soins et qui meurent de mort naturelle mais il y en a d’autres qui disent : moi, les soins palliatifs ne me satisfont plus parce que mes douleurs sont là et que même si l’on augmente les doses de morphine, ça ne suffit plus, donc je demande l’euthanasie. Par ailleurs, le fait de savoir que l’on peut en bénéficier peut rendre plus disposé aux soins palliatifs parce que le malade peut se dire : je veux bien essayer puisque je sais que de toute façon il y a une porte de sortie encore après. Sans cela, certaines personnes se seraient peut-être suicidées.
S.D. : Vous estimez que la France est en retard sur cette question ?
N.D. : Je ne vais pas me faire des amis parmi vos lecteurs ! (rires) Mais je n’arrive pas à comprendre comment un état laïque comme la France peine à reconnaître ce droit à l’euthanasie, dans le sens où l’État n’a pas à se prononcer en faveur d’un point de vue philosophique, ou religieux particulier. Et donc, reconnaître que des individus peuvent, en leur âme et conscience, trouver qu’ils ont suffisamment vécu et que leur vie n’appartient pas à une quelconque transcendance mais leur appartient. Donc, je ne comprends pas que vous puissiez être en retard sur la Belgique sur une question de laïcité alors que la Belgique n’est pas laïque et que la France l’est.
Sophie Deschamps