“Bérénice”, retour aux fondamentaux au Théâtre d’Orléans

Revisiter une tragédie de Racine est forcément un projet déjà chargé de sens avant même l’ouverture du rideau, et justement, ce jeudi soir le rideau ne s’ouvrit pas au Théâtre d’Orléans puisque de façon très contemporaine la pièce débute sur une scène ouverte, avec un décor minimaliste, entre tapis de sport rouge et banquette rigide où les comédiens, en costume de ville, ont déjà pris place, et la rigueur du dispositif inculque une certaine froideur à l’ouverture d’une tragédie qui nous semble de prime abord lointaine.

Bérénice – photo pascal Gély

Et puis la magie de l’alexandrin produit son effet, le texte scandé dans une pureté absolue, dans cette mise en scène où le visuel est réduit à une présence corporelle sur ce rectangle rouge des passions, nous embarque avant même de saisir les enjeux de cette tragédie dont nous croyions déjà tout savoir. Alors les passions peuvent se déployer, nous télescoper de leur drame intime: telles des poupées russes, les conflits et les sentiments s’enchâssent puissamment autour d’une intrigue aux multiples résonances, une histoire aux enjeux “si loin, si proche”. La dramaturgie nous recentre sur cette ambivalence des sentiments si chère à Freud, pour nous plonger dans ce système ouvert par la passion amoureuse qui exacerbe les sentiments par les obstacles mis à leur accomplissement.

Bien sûr il y a le Sénat romain qui ne peut tolérer que l’empereur s’allie à une princesse étrangère, mais que dire de la lâcheté de Titus devant un choix qu’il n’ose assumer ? Que dire de la folie de Bérénice qui ne pense qu’à se sacrifier par désespoir ? Où est la raison dans cette tragédie censée nous protéger des passions ? Et les questions se démultiplient sur l’amour et le devoir social, mais aussi sur la réalité des sentiments et leur conséquence conflictuelle, sur l’aveu et la parole incomprise, sur l’égoïsme et ce désir dévastateur dans ce brûlant baiser qui brise soudain le rythme versifié du texte de Racine.

La tragédie dans sa pureté contemporaine.

Gérard Poitou

Bérénice

de Jean RACINE – Mise en Scène de Gaëtan VASSART

avec Stéphane BREL, Maggaly GODENAIRE, Sabrina KOUROUGHLI, Stanislas STANIC, Gaëtan VASSART

Jeudi 28 novembre Théâtre d’Orléans

Programmation ATAO

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

  1. A propos de Bérénice , tragédie de Racine représentée dans le cadre de L’ATAO

    Commentaire le 1 er décembre 2019-

    De prime abord , j’éprouvai une sorte de réticence causée par la froide nudité du plateau renforcée par la diction nette mais quasi scolaire des comédiens posés là comme des pions anonymes sur un échiquier . Le premier acte de la tragédie avec sa scène d’exposition est certainement ingrate car toujours démonstrative .
    Et puis, miracle ! annoncé par la musique de Haendel propre à vous plonger dans le ravissement : duo chanté par Didon et le prince Enée. Tout se mit alors en place pour une belle soirée théâtrale . La rigidité des acteurs devint dignité et les voix se coulèrent avec aisance dans le moule de l’alexandrin classique. L’enchantement provoqué par la musique des vers raciniens fut porté haut grâce aux acteurs comme soudain brûlés d’un feu intérieur . Bérénice, en tête, porta avec flamme la douleur de la «  femme renvoyée » et Titus s’enveloppa du manteau impérial par la puissance de son verbe . On le sentit omnipotent, détaché, solitaire et prêt à sacrifier l’amour au service de l’État .
    Les coeurs des spectateurs se mirent alors à battre intensément au rythme du chant racinien dans son immuable perfection.
    «  Invitus, Invitam » malgré lui , malgré elle selon la parfaite et laconique phrase latine .

    Bravo aux comédiens et merci aux organisateurs de ce spectacle exigeant.

Les commentaires pour cet article sont clos.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    2°C
  • samedi
    • matin 1°C
    • après midi 6°C
Copyright © MagCentre 2012-2024