Le Goncourt 2019 est un grand cru. Le jury a d’ailleurs eu bien du mal à choisir entre les quatre finalistes tant leurs livres étaient excellents. En plus de celui du lauréat, « Tous les hommes n’habitent pas le même monde » de Jean-Paul Dubois (L’olivier), il y avait « Soif » d’Amélie Nothomb, (Albin Michel), « Extérieur monde » d’Olivier Rollin (Gallimard) et « La part du fils » de Jean-Luc Coatalem (Stock).
Tous à lire car chacun déroule avec talent un des thèmes ou des préoccupations de notre société, art de vivre, préoccupation religieuse, mémoire, besoin de voyages. « Soif » a défendu ses couleurs au second tour. Mais Jean-Paul Dubois l’a emporté par six voix contre quatre. On comprend la déception d’Amélie Nothomb mais il faut croire que ses planètes n’étaient pas bien alignées pour reprendre à l’envers l’expression de Jean-Paul Dubois. Il n’empêche qu’il faut prendre le temps de ne pas passer à côté de ce roman.
Un roman tout en délicatesse
« Tous les hommes n’habitent pas le même monde » est le vingt-deuxième roman que l’auteur toulousain publie chez « l’olivier » et le premier ouvrage de cette maison d’édition primé à ce niveau. Il y a un univers Jean-Paul Dubois et il nous y conduit dès les premières pages. Il installe son humour mélancolique et sa délicatesse pour ne plus les quitter. Le lecteur entre dans cet univers avec Paul en prison dans la banlieue de Montréal au Canada où il partage sa cellule avec un colossal biker, un vrai qui veut couper en deux tout ce qui lui résiste ou ne lui convient pas. Un univers clos dont Paul s’échappe grâce à des pensées et du rêve.
D’abord rien sur les raisons qui l’ont conduit au pénitencier. Paul se raconte et, en bon conteur, commence par le commencement, installe sa musique avec des mots qui coulent en douceur. Il est né à Toulouse d’un père pasteur d’origine danoise, perdu pour la fois et qui finit par être pris par la passion du jeu et d’une mère athée gérante d’un cinéma d’art et d’essais. Une décennie plus tard Paul, ex-intendant d’immeuble évoque sa femme et sa chienne défuntes, une vie tendre et douce envolée. Les fantômes de ces deux êtres qui sont ce qu’il possède de plus cher au monde viennent lui rendre visite en prison entrainant des éclairs d’onirisme. Le texte va à son rythme, sème ses petits cailloux comme autant de perles, rebondit sur des traits d’humour, caresse la réalité pour la rendre plus acceptable, s’enfonce dans la profondeur de ses réflexions pour faire entendre leur pertinence.
Tout est limpide, simple, fluide. Du grand art.
Une marque de fabrique
Depuis son deuxième roman Jean-Paul Dubois a mis en place pour lui et à son seul usage une méthode de travail, un rituel auquel il tient absolument. Il écrit chacun de ses livres au mois de mars en 31 jours. Huit pages par jour et l’interdiction de se coucher si la tâche n’est pas complètement remplie. De ses 8 ans quand son père a trépassé d’une mort soudaine, le Toulousain attaché à sa ville comme une moule à son rocher a retenu une certaine fragilité de la vie qui lui tient lieu de philosophie. Aussi entend-il être maître de son temps du moins au quotidien. Face à l’agitation médiatique qui a suivi son triomphe il s’est montré perplexe. Un heureux et surprenant épiphénomène avant de retrouver son ordinaire.
F.C.