Bartok, Beethoven, Schönberg, trois morceaux joués par le quatuor Ictus et dansés par la troupe de Anna Teresa de Keersmaeker qui les a chorégraphiés ce jeudi soir au Théâtre d’Orléans. On y découvre son langage qui s’installe progressivement et la beauté avec laquelle elle ordonne ses danseurs dans l’espace. Travail sans concessions, parfois alerte, parfois plus difficile, mais constamment tendu par une énergie à couper le souffle.
Bartok©Anne_Van_Aerschot
Quatre jeune filles s’éveillent à la danse
Sur le plateau totalement nu, quatre jeunes filles qui pourraient être des lycéennes, avec leur jupes plissées et leurs chaussures d’orphelines, s’éveillent lentement à la danse. Elles bougent de manière identique, en carré, formant un corps qui n’est plus seulement le leur mais celui de la danse. Elles martèlent parfois le sol de leurs chaussures, donnant une présence incroyable à cette danse silencieuse. Et puis commence la musique et avec elle des tournoiements, des virevoltes, des courses très ordonnées.
La correspondance entre la danse et la musique
Chorégraphié par Anna Teresa de Keersmaeker alors qu ‘elle n’avait que 26 ans, ce quatuor n°4 de Bela Bartok en cinq mouvements lui permet de mettre en place un certain nombre de gestes et de principes qui deviendront son style. Déjà, une très grande adéquation de la danse et de la musique. Et puis des mouvements du corps, souvent simples, les bras qui se balancent et qui font tourner sur soi même, par exemple. Ce qui fait voler les jupes, et les quatre danseuses s’en donnent à cœur joie avec un plaisir de gamine ! Comme les deux derniers mouvements sont allegreto, elles deviennent quatre toupies chipies qui montrent leur culotte. Morceau de danse aussi enlevé que la pièce musicale, ce premier moment de la soirée reste un petit bijou, même plus de trente après sa création.
Beethoven ©Anne_Van_Aerschot
Ordonner les corps dans l’espace
Et le quatuor Ictus s’est lancé dans un morceau bien différent, la grande fugue de Beethoven. Quatre danseurs ont pris au corps l’espace de danse. Ils couraient, ils tombaient, se relevaient, déployant une énergie considérable, roulant par terre pour continuer sans s’arréter, se retrouvant par deux ou trois sur des gestes simples là aussi, comme écarter les bras sur les cotés. Mais tous impeccablement ensemble. Parce que la danse, c’est aussi une ordonnance exacte des corps.
Et la grandeur du plateau de la salle Touchard montrait l’importance, pour la chorégraphe, de l’occupation de l’espace, des parcours individuels et communs. Les trajets qui coupent, ceux qui contournent et ceux relient. Et toujours ces chutes, parfois bruyantes, se rajoutant à la musique. Mais juste sur le temps, et tous ensemble parfois. De même que la musique de Beethoven, cette danse n’est pas narrative, même si on distingue des thèmes quasi symboliques, tomber, faire, défaire, occuper l’espace, occuper la vie. Mais en premier, il y a l’énergie et le mouvement. Prenant !
Un couple se cherche, se trouve, s’ignore…
Le troisième moment mettait en œuvre un pas de deux sur un morceau de Schönberg, la Nuit Transfigurée. La danse a été créée en 1995 et remaniée en 2014, donc beaucoup plus récente. Un couple, perdu sur cet immense plateau, un couple qui se cherche sans vraiment se trouver au début. Même si, dans des élans d’amour fou, elle se jette parfois sur lui. L’entente est difficile, il ne la retient pas toujours et elle glisse au sol. Car là aussi, on tombe souvent. La musique complexe propose à chaque instrument ses propres développements, même s’il y a souvent des points de rencontres harmoniques et harmonieux. Les deux danseurs aussi, pas forcément au même moment, se rencontrent avec harmonie. Rejet, accord, relation, espace entre eux, espace tout court, là encore on est dans les thèmes de Anna Teresa. Et toujours cette énergie déployée pour mater l’espace, pour le parcourir. Magnifique entreprise que les deux danseurs développent avec succès jusqu’au bout.
Bravo !
BC
Anne Teresa De Keersmaeker, Rosas
Bartók
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Interprétation Rita Alves, Cassandre Cantillon, Aminata Diallo, Cintia Sebők
Musiciens Ensemble Ictus (en live)
Violons Igor Semenoff, Pieter Jansen
Alto Aurélie Entringer
Violoncelle Geert De Bièvre
Béla Bartók String Quartuor n° 4
Costumes Rosas, Rudy Sabounghi (Verklärte Nacht)
Lumière Luc Schaltin, Anne Teresa De Keersmaeker
Son Alexandre Fostierr
Beethoveen
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Interprétation Frank Gizycki, José Paulo Dos Santos, Lav Crnčević, Thomas Vantuycom
Musiciens Ensemble Ictus (en live)
Violons Igor Semenoff, Pieter Jansen
Alto Aurélie Entringer
Violoncelle Geert De Bièvre
Ludwig van Beethoven Grande Fugue opus 133
Costumes Rosas, Rudy Sabounghi (Verklärte Nacht)
Lumière Luc Schaltin, Anne Teresa De Keersmaeker
Son Alexandre Fostier
Schönberg
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Interprétation Cynthia Loemij, Boštjan Antoncic
Musiciens Ensemble Ictus (en live)
Violons Igor Semenoff, Pieter Jansen
Alto Aurélie Entringer, Jeroen Robbrecht
Violoncelle Geert De Bièvre, François Deppe
Arnold Schönberg La Nuit transfigurée opus 4
Costumes Rosas, Rudy Sabounghi (Verklärte Nacht)
Lumière Luc Schaltin, Anne Teresa De Keersmaeker
Son Alexandre Fostier
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Jeudi 7 novembre 20h30
Jusqu’au vendredi 22 novembre – CCNO
©Hugo_Glendinning
En lien avec le spectacle, le Centre Chorégraphique National d’Orléans vous propose de découvrir l’exposition Fase, four movements to the music of Steve Reich par Anne Teresa De Keersmaeker.
Cette exposition retrace l’histoire de la pièce Fase et de ses différentes reprises, en présentant des notes de travail, des lettres, des documents personnels de la chorégraphe, ainsi que des imprimés graphiques, des articles de presse, des critiques et des photos…
https://www.scenenationaledorleans.fr/