Amélie Nothomb, “Soif”: Jésus se raconte

Chaque année, avec une régularité de métronome Amélie Nothomb effectue sa rentrée littéraire avec un nouveau roman, agréable, bien troussé, une nouvelle partition de sa petite musique. Mais en ce mois d’octobre, pour sa vingt-huitième rentrée littéraire, l’écrivaine d’origine belge qui a gagné son titre de baronne avec sa plume surprend avec un roman au titre minimaliste : “Soif”. Elle y raconte les derniers jours de Jésus, à la première personne. L’entreprise était risquée et aurait pu tourner au ridicule. C’est une réussite et une très belle œuvre.

Amélie Nothomb récemment à la Librairie Nouvelle. Photo Magcentre

Une connivence profonde avec Jésus

Dans ses écrits autobiographiques comme par exemple dans «  Métaphysique des tubes » en 2002 et dans plusieurs interviewes, l’écrivaine aux grands chapeaux reconnaît « une connivence profonde avec Jésus car elle était sure de comprendre la révolte qui l’animait ». Dans « Stupeur et tremblements » en 1999 , elle avoue, « petite je voulais devenir Dieu. Très vite, je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : Je serais Jésus ». Le temps a passé et Amélie Nothomb a franchi le cap  de ses aspirations : elle a consacré son dernier opus à Jésus.

Boire , manger, actes vitaux, élémentaires dont le corps de tout un chacun ne saurait se passer, celui de Jésus, le corpus christi, comme tout autre. Amélie qui a déjà raconté son propre besoin de manger dans « Biographie de la faim » se penche, cette fois, sur la soif de Jésus, soif de vivre, de se réaliser, d’aimer…. Il a 33 ans, vient d’être condamné à être crucifié après une dernière nuit en prison. « J’ai toujours su que l’on me condamnerait à mort » ? Les mots portent sa voix. On l’entend tandis qu’on le lit. « L’avantage de cette certitude, c’est que je peux accorder mon attention à ce qui le mérite : les détails ». Ce sont les détails qui introduisent l’histoire, qui l’éloignent du convenu, d’un texte qui pourrait n’être qu’une pâle redite. Amélie Nothomb s’est emparé de l’histoire la plus célèbre du monde pour en écrire sa version, l’évangile selon Amélie.

L’évangile selon Amélie

Les témoins à charge défilent qui mettent en place l’atmosphère du procès, du procès de Jésus à la fois accusé, victime et spectateur de son destin. Nulle rancune mais la parole d’un homme à qui « rien d’humain n’est étranger », qui aborde le mystère de l’incarnation, du corps et de la chair, par petites touches allusives et sensuelles. Son être, sur de son sort, s’exprime à différents stades de réflexions, de sensations, de souvenirs de sensations. Le récit devient magnifique, prend du sens et de l’épaisseur, se glisse dans les silences et les marges des évangiles officiels. Jésus s’incarne ce qui le différencie de Dieu et, mine de rien, comme en passant, introduit la critique de la religion chrétienne que l’auteure a installé au cœur de son roman.

Dans la crucifixion Amélie Nothomb voit avant tout du mépris pour le corps. Sa colère monte d’un cran quand elle se demande comment la crucifixion censée racheter les pêchés est compatible avec le précepte « aimez-vous les uns les autres ». Pas de thèse ou de reproche mis en avant juste un constat et une interrogation. C’est Jésus qui parle, narrateur de sa propre histoire sans jamais mettre en doute son ascendance divine, un sage qui considère son existence et sa relation aux autres et au monde, un être humain, fils aimant et amoureux de Marie-Madeleine et corps souffrant. Du grand art en littérature.

L’amour, la soif, la mort

Y a-t-il de sensations plus humaines, de questionnement plus universels que l’amour, la soif,la mort ? Autant d’occasion pour Amélie Nothomb de se questionner et de donner sa version, de pointer la différence qu’il y a entre le mot amour qui indique un état et le verbe aimer qui induit une action. » Pour éprouver la soif il faut être vivant », écrit elle. Tout un programme.

Et lors de la crucifixion « Voici venu le grand instant. La souffrance disparaît, mon cœur se desserre comme une mâchoire et reçoit une charge d’amour qui dépasse tout, c’est au-delà du plaisir, tout s’ouvre à l’infini, il n’y a pas de limites à ce sentiment de délivrance, le fleur de la mort n’en finit pas d’épanouir sa corolle. L’aventure commence. »

Le roman s’achève par- delà la mort dans une réconciliation du culturel et du christique. Pas de conclusion sentencieuse mais de phrases qui coulent comme un fleuve qui passe : « Quand on est mort, on n’éprouve ni approbation ni regret par rapport à ses agissements ou ses abstentions. On voit sa vie comme une œuvre d’art. »……  « Si vous aimez vos morts, faites-leur confiance au point d’aimer leur silence. »

La soif qui donne son titre à l’ouvrage est plus qu’un symbole, elle est la pierre angulaire de nos vies. Sur la croix, assoiffé volontaire, livre avec humour sa métaphysique personnelle, en un clin d’œil que seule l’écriture lui permet d’émettre : «  Mon seul deuil c’est la soif. Boire me manque moins que l’élan qui l’inspire. Parmi les injures des marins, il y a boit-sans-soif. Voici une insulte que je ne risquais pas de mériter. Pour éprouver la soi, il faut être vivant. J’ai vécu si fort que je suis mort assoiffé. C’est peut être cela la vie éternelle ». C’est évidemment Jésus qui parle ! Sacrée Amélie.

On parle pour elle du Goncourt. Champagne !

Françoise Cariès

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