Rastignac avec Vautrin dans la cour de la pension Vauquer (Le Père Goriot)
Rastignac, c’est bien sûr le personnage créé par Balzac dans “Le Père Goriot” qui réapparaît à plusieurs reprises dans la Comédie Humaine, personnage devenu synonyme du provincial arriviste qui sied à tant de nos contemporains… Mais chez Balzac, toute ressemblance avec une personne réelle n’est jamais fortuite et son Rastignac, fils de bonne famille d’Angoulême arrivant à Paris pour gravir tous les échelons pour finir Pair de France, rappelle étrangement ce marquis de Rastignac périgourdin, qui évitera l’opprobre révolutionnaire d’être fiché “émigré” bien qu’ayant fui la France, avant de se mettre au service de l’usurpateur Napoléon Ier, puis de se compter parmi les fidèles de Louis XVIII et finir comme le vrai-faux Rastignac, Pair de France en 1823.
Cette ascension politique se doubla d’une ascension sociale qui vit Pierre-Jean-Julie Chapt de Rastignac se marier en 1798 avec Françoise-Charlotte-Ernestine de la très ancienne famille de la Rochefoucault. Et cette brillante fortune nécessitait la construction d’un nouveau château, sur les restes d’une construction ancestrale en Périgord, le château de Rastignac…
La Maison Blanche en Périgord
Le château de Rastignac La Bachellerie (Dordogne)
Le voyageur qui délaissera l’autoroute sans intérêt pour emprunter la route départementale entre Brive et Périgueux aura l’étonnante surprise de découvrir la Maison Blanche au flanc d’une colline verdoyante du Périgord Noir. Et cette copie n’est autre que le château construit au début du XIXe siècle par notre Rastignac ! Mais est-ce une copie du célèbre symbole de la Présidence américaine, n’est-ce pas plutôt le contraire ?
Curieusement la question reste ouverte, car les deux bâtiments ont été construits quasiment aux mêmes dates, et si l’architecte de la Maison Blanche est bien connu, celui de Rastignac reste mystérieusement absent des archives de la construction du château. A une époque où l’information ne circulait pas comme aujourd’hui, il reste bien difficile de déterminer dans quel sens transatlantique l’influence, dans un pur style de la mode du retour à l’antique, a pu produire ces deux bâtiments aux proportions presque identiques.
La Maison Blanche (le balcon coupant le péristyle a été ajouté au XXe siècle)
Ce néo classicisme qui s’impose alors en Europe a sans doute été apprécié par le futur président Jefferson qui fut ambassadeur en France de 17885 à 1789, et séjourna notamment à Bordeaux, avant de décider la reconstruction de la Maison Blanche avec son péristyle “palladien” en 1829… aurait-il vu un plan du château de Rastignac ou de la villa d’Arlac à Bordeaux aujourd’hui disparue? Malgré les efforts des historiens encouragés même par un mécène américain, le mystère demeure.
Fin tragique et renaissance du château de Rastignac
Le marquis de Rastignac n’eut qu’une fille qui fit rentrer le château de Rastignac dans le patrimoine de la famille la Rochefoucauld qui finit par vendre ce vaste château, et de ventes en succession, cette bâtisse somptueuse se retrouva propriété de trois couples durant l’entre deux guerres qui mêlèrent vie parisienne et réceptions au château de Rastignac. Mais dès l’occupation de la zone libre par les troupes allemandes en novembre 1942, le nom anglais d’Harold Fairweather d’un conjoint propriétaire présent au château, ne manque pas d’attirer l’attention de la Gestapo.
Le château de Rastignac après l’incendie
Pourtant, le drame va survenir le 30 mars 1944 lorsque les “hordes nazies” de la division Brehmer envahissent les villages avoisinants, menant des actions de représailles contre la résistance très active en Dordogne. Le maire du village voisin d’Azerat est fusillé, et 35 juifs cachés à La Bachellerie sont ou fusillés ou déportés sur le champ. Le château de Rastignac est également investi par un petit groupe de soldats allemands qui le fouillent méthodiquement, sans doute à la recherche d’armes mais plus probablement d’un trésor d’exception dont ils ont pu être informés.
En effet, Jacques Lauwick, un des co-propriétaires du château, a accepté de cacher à Rastignac, une collection de 32 tableaux, soigneusement décadrés et roulés, provenant d’une galerie d’amis juifs parisiens, les Bernheim. Et quelle collection ! Sept Cézanne, quatre Manet, quatre Renoir, trois Bonnard, un Van Gogh, d’une valeur inestimable! On connait l’appétit des nazis pour les œuvres d’art qu’ils pillèrent à travers toute l’Europe, mais était-ce la motivation de cette fouille méticuleuse du château ?
Et, c’est vers midi que le petit détachement allemand quitte les lieux non sans avoir mis le feu au château de Rastignac pour des raisons peu explicables… Où sont passés les tableaux que l’on ne reverra jamais, nul ne le sait, et les légendes vont bon train: ont-ils brulés ou sont-ils restés cachés en attendant leur expédition en Allemagne, certains ont vu quelques voitures allemandes stationnées dans les parages…
Quant au château, les propriétaires d’alors souhaitèrent réparer l’outrage de l’incendie criminel avec les dommages de guerre qu’ils perçurent, mais le chantier se révélera beaucoup trop lourd pour espérer faire revivre ce château d’exception et décidèrent de sa mise en vente en l’état dès 1984. Durant près de vingt ans, le bâtiment resta ouvert à tous les vents se dégradant d’année en année, avant qu’un citoyen néerlandais ne décide de l’acheter en 2000 pour réaliser une copropriété de sept appartements lui permettant de financer la sauvegarde du château de Rastignac qui dresse toujours son étonnante silhouette aux portes du Périgord Noir.
Gérard Poitou
Source: “Rastignac” François Le Nail ed Pilote24 1998