On a la chance à Orléans d’avoir quelques personnalités de premier plan, mais on ne le sait pas toujours. C’est ainsi qu’Antoine Prost, historien qui débuta sa carrière au lycée Pothier avant de rejoindre la Sorbonne, spécialiste reconnu pour sa connaissance de la Grande Guerre et des anciens combattants, sujet sur lequel il rédigea sa thèse de doctorat en 1975, préside depuis 2012, le Conseil scientifique de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale, ainsi que le Conseil scientifique du Mémorial de Verdun. C’est cette Mission du Centenaire qui est chargée depuis quatre ans d’organiser et de coordonner l’ensemble des manifestations de commémoration de la guerre 14-18, rebaptisée pour l’occasion Grande Guerre, mais aussi de labelliser les multiples initiatives qui partout à travers la France ont marqué cette commémoration exceptionnelle par son ampleur.
Un formidable engouement
Dans une conférence qu’il donnait ce jeudi soir à Orléans, Antoine Prost pouvait donc nous livrer la primeur de son sentiment, sa conclusion définitive comme l’on dit sur une radio du service public, à propos de ces événements qui ont rythmé la vie publique française depuis quatre ans.
Et si il y a peu à dire sur l’aspect officiel de ces cérémonies tant elles sont restées convenues et contraintes par un protocole qui, de dates en dates, a vu se reproduire les mêmes discours plutôt consensuels rappelant la nécessité de la paix en Europe et d’un “plus jamais ça”, ces quatre années de commémoration ont vu se développer un nombre impressionnant de propositions commémoratives locales les plus diverses et dans tous les domaines: expositions, spectacles, ateliers, recherches d’archives, publications, lectures de correspondance, décoration de monuments, initiatives scolaires, la Mission du Centenaire a ainsi labellisé pas moins de 6.200 projets rien que pour l’année 2018 sans compter les très nombreuses actions non-labellisées. Et si bien sûr le nord et l’est de la France en ont connu le plus grand nombre, aucun département français n’a échappé à cette vague d’initiatives mémorielles.
La figure du Poilu
Antoine Prost explique ce phénomène de société par la place très particulière qu’ont pris les Poilus dans la mémoire des Français. En plus de leur présence partout en France par les listes interminables qui figurent sur les monuments aux morts jusque dans les plus petits villages, les soldats de cette guerre ont un statut ambivalent de héros et mais aussi de victime, mais non plus de vainqueur. De plus, les Poilus sont encore dans toutes les familles: si le portrait du grand-père ou du grand oncle en uniforme avec les médailles sur la poitrine est souvent passé de la cheminée au tiroir du buffet, le souvenir familial de cette guerre reste très présent, la collecte d’archives privées qui a vu ressortir des boites à chaussures des milliers de lettres et de photos apporte la preuve du respect qu’au travers des générations, on a porté dans les familles à ces documents.
Orléans: Monument aux Morts décoré
Paradoxalement, l’éloignement dans le temps rend les causes (et les responsabilités) de cette Grande Guerre de plus en plus difficiles à décrypter et la rendent encore plus inutile et injustifiée, laissant de plus en plus de place à une relecture pacifiste et anti-guerre de ce conflit meurtrier, y compris dans la question de la réhabilitation collective des “fusillés pour l’exemple”, demande à laquelle le comité scientifique ne donna pas suite considérant qu’il n’était plus possible de rouvrir des jugements militaires qui mêlaient des situations de droit commun avec des refus d’obéissance aux ordres.
Pour conclure, Antoine Prost souligna le rapport très différent que la mémoire collective française entretient avec la seconde guerre mondiale d’abord parce que, durant ce conflit, et de part et d’autre, le statut de victime s’est étendu à l’ensemble de la population civile, et surtout comme le souligne l’historien américain Robert Paxton, par l’idée diffusée par Pétain (encore lui) et le régime de Vichy, que la France contaminée de l’intérieur par une corruption sociale et intellectuelle s’était révélée incapable de s’opposer à l’offensive allemande. Antoine Prost rappela pourtant deux chiffres: 60.000 hommes furent tués durant les quelques jours de l’expéditive offensive de juin 40 alors 180.000 soldats perdirent la vie à Verdun en six mois d’offensive française… mais la mémoire de cette seconde tragédie reste encore en construction…
Et comme le dit Antoine Prost dans une interview au journal Le Monde de 2014, l’Histoire s’écrit pour répondre aux interrogations d’une société.
GP