A-t-on tout fait ?

Nouvelle chroniqueuse à Magcentre, en guise de portrait de présentation, Gen-Si nous parle de ces immigrés qui viennent mourir aux portes de l’Europe ou dans un hôtel d’Orléans. Et de l’histoire de sa famille.

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A-t-on tout fait ? A chaque nouvel article sur le sujet, ou si cela arrive jusqu’aux journaux d’information TV à cause d’une histoire plus remarquable qu’une autre, cette question me traverse, non pas seulement l’esprit, mais aussi le corps. A-t-on vraiment tout fait ?

Par Gen-Si

Et depuis quelques jours une pression ou un rappel s’exerce sur le sujet : A Orléans, un mineur non accompagné, un « MNA », anciennement appelé « mineur isolé », migrant donc, est retrouvé mort dans l’hôtel où il résidait ; l’on ressent derrière ce fait divers, toute la détresse de situations dont la gestion est autant délicate que complexe. Et les limites qui les accompagnent : administratives, législatives, de lieu, de temps, de compréhension, de solutions.

A une autre échelle, et au même moment, tourne en boucle sur certaines chaines d’actu la situation du Sea-Watch et cette jeune femme allemande de 31 ans Carola Rackete aux commandes de ce navire, qui au delà de leur porter secours, a pris la responsabilité d’assumer de mettre en sécurité ces migrants sur les côtes italiennes, là où ils n’étaient pas les bienvenus, leur évitant probablement une fin tragique ; risquant elle alors, de terminer en prison. On ressent là, encore une fois, les mêmes limites de cette situation.

Peut-on ériger tant de barrières, de murs, de frontières physiques ou subtiles entre soi et les autres? Et finalement entre la Nature et nous ? Pour quelle finalité ? Notre sécurité, diront certains. Ce qui n’est pas totalement faux. Pour fonctionner nos sociétés ont besoin de cadres, de règles, de loi, de sécurité, de stabilité pour garantir la liberté de chacun, et des peuples.

Mais jusqu’où et à quel moment ces règles n’ont plus de sens lorsqu‘elles ne sont plus au service de ce pourquoi elles ont été créées, notre liberté individuelle, la possibilité de vivre ensemble, de se développer, de prospérer et de vivre dignement dans nos sociétés humaines ? A quel moment deviennent-elles en contradiction avec nos valeurs humanistes ?

Notre Humanité

Je me repose cette question : Ne suis-je pas liée à ces personnes, comme chacun peut l’être ? Parce que vivant dans cette ville, parce que voisin, parce que j’en ai croisé un, parce que je connais son pays, parce que maman, parce que c’est un jeune, parce que je les ai vus attendre toute la journée dehors ; et finalement qu’ont-ils de différent de moi ? Il semble que nous ayons tous un lien avec eux, fondamentalement. Notre Humanité.

Ils ont des numéros, des appellations en 3 lettres, ils sont un problème à régler, ils sont des chiffres, des quotas, ils sont un casse tête, ils sont un sujet électoral, peuvent être un instrument de peur, ou sont la plupart du temps l’indifférence. Ils sont parfois la solidarité, une main tendue, une belle histoire isolée.

Mourir aux portes de l’Europe

A-t-on vraiment tout fait ? Ce « On » qui met encore beaucoup de distance entre « Eux » et ma personne, moi, chacun d’entre nous et qui enlève une part de notre responsabilité propre, individuelle. Ai-je vraiment tout fait ? Et « Eux », ces migrants qui sont-ils et pourquoi risquer de mourir aux portes de l’Europe ?

Je me replonge un instant dans ma propre histoire. Je suis née en France d’une mère française, née sur un territoire aujourd’hui allemand qui était à l’époque la Prusse orientale, dû aux mouvements des populations et modifications de frontières de la seconde guerre mondiale. Mon père lui vient du Bénin en Afrique, espoir d’une famille nombreuse, qui vivait modestement, mais avec assez d’espoir pour se dire qu’ils allaient donner la chance à cet enfant qui semblait s’intéresser à l’école, pris sous l’aile d’un oncle professeur et l’envoyer faire des études en France. Partir seul, jeune, laisser sa famille pour un lieu qu’on ne connaît pas, avec d’autres codes, d’autres personnes, un autre climat. Et premières pertes d’espoir lorsque mon père arrivant à l’aéroport attend un cousin qui devait venir le chercher pour l’aider à rejoindre le pensionnat dans lequel il doit étudier, dans le centre de la France. Il attendra, seul, sans informations à l’arrivée à l’aéroport ; cher cousin ne se présentera pas. Jamais. Bienvenue en France.

Je l’imagine attendant sur les bancs gris de l’aéroport, esseulé, comme cela doit être le cas pour certains mineurs non accompagnés. Il réussit à gagner son pensionnat grâce à l’aide d’inconnus, lui indiquant comment rejoindre le Puy de-Dôme depuis l’aéroport. Presque un pèlerinage donc pour un enfant venant de si loin. S’en remettre aux autres, faire confiance, essuyer des refus, avoir de la chance ou non. Surement le quotidien de nombreux jeunes eux en situation d’attente sur notre territoire. Mon père avait cette chance et cette différence d’être autorisé à être sur le territoire français pour y étudier.

L’appartenance à une nation

Malgré cela le parcours n’était pas gagné d’avance. S’intégrer, se fondre dans la masse. Mais comment le faire lorsqu’on est le seul noir parmi un pensionnat de jeunes garçons uniquement blancs ? Est-ce possible ? Au milieu du XXe siècle ? En excellant et en essayant de se faire apprécier. Pas d’autres choix. Et vient encore par cela une certaine perte d’âme ou d’espoir. Oublier son ancienne identité qui n’a pas sa place ici. Essayer de calquer un modèle pour ressembler à celui qui vous permettra de survivre. Pas de famille pour venir le chercher les week-ends, la sienne est loin ? Encore un prix à payer pour une vie meilleure. Sur le chemin, des personnes bienveillantes, souvent proches de valeurs humanistes, ou religieuses qui ouvrent leur porte, rendant cette solitude et cette différence moins dure. Et il réussit, obtient brillamment des diplômes d’économie et statistiques, rencontre ma mère, devient cadre dans une banque. Mais l’Afrique est un sujet que l’on sent douloureux. Tant d’efforts pour construire ici, qu’il serait trop dur de retourner là-bas même en ayant réussi la mission donnée par ses parents. Sa réussite sera donc regardée de loin… Pour moi aujourd’hui sa fille, métisse, née en France cette histoire m’oblige. Elle m’oblige aussi à me réinterroger sur le sens de la migration et ses bénéfices. De tout temps elle a existé. Si l’on se projette environ 500 ans en arrière jusqu’à aujourd’hui, elle est la conséquence de colonisations, de guerres, de prises de pouvoir et aujourd’hui de misère économique et politique. Le prix à payer pour la migration est cher, pour ces personnes. Perte d’identité, de famille, perte physique, jusqu’à la vie parfois.

Cette histoire, celle de mon père, en résonance avec le sujet de la migration, me donne aussi une obligation d’exceller et de ressentir l’appartenance à une Nation, La France, dont je suis et voudrais être encore plus fière ; ceci sans être coupée de mes racines. Car j’ai appris sur les bancs de l’École de la République, que cette République a été fondée sur un socle philosophique et repose sur des principes humanistes : Liberté, Égalité, Fraternité ; auxquels chacun d’entre nous peut se sentir appartenir. J’ai pu, dans cette société française y faire entendre ma voix en tant qu’artiste, musicienne, ou encore au sein des institutions de la République française.

Prenons le temps de comprendre ce voisin, l’autre, le migrant

Alors qui suis-je ? Ou plutôt qui je ne serai pas : Je ne serai pas, l’indifférence, la peur de l’autre, la facilité. Je ne serai pas excessive, dogmatique. Je serai là. Sensible. Humaine. Présente. Tentant d’être pragmatique.

A nous citoyens, société civile, élus, prenons le temps de comprendre ce voisin, l’autre, le migrant. Prenons aussi le temps de remercier ceux qui sont garants de nos libertés et travaillent chaque jour à cela, afin que nous puissions vivre en ayant moins peur de l’autre. Mais faisons savoir aussi lorsque la règle nous semble inadaptée et soyons porteurs de nouvelles solutions, propositions. Nous sommes écoutés, même lorsqu’il nous semble que non, et cette chaîne intellectuelle peut permettre de trouver de nouvelles perspectives plus humaines et plus respectueuses de notre bien commun. Notre humanité. Cette même humanité qui finalement fait que je ressens physiquement cette problématique des migrants et qu’à ce moment précis j’écris cet article.

Chacun d’entre nous peut se réinterroger. En se posant la bonne question : A-t-on vraiment tout fait ? Du haut de ton poste de diplomate, d’élu, d’écrivain, de responsable politique, d’historien, de géologue, de boulanger, d’enseignant, de citoyen …et moi ? A-t-on vraiment tout fait ?

G.S

Commentaires

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  1. ○~●Beaucoup oublient que notre avenir est lier à notre passé chacun dans son entourage a connu ou connaîtra ce sentiments d’être exclus ou rejeter comme chaque être humain qui fuient les combats et les exactions dans les différents pays en guerre nous ferions la même chose si c’était le cas en France comment ne pas comprendre qu’un migrant qui traverse la mer dans des embarcations sommaires le fait pour sauver sa vie et celle de sa famille bien souvent j’entends ici et là des commentaires haineux les concernant et quand je gratte un peu les réponses que j’ai bien souvent se focalisent sur ces personnes migrantes mais jamais ils ne prennent en compte le contextes de pourquoi ils fuient ( je répond ils fuient la guerre les conflits internes et aussi les groupes armés islamiques etc…. ) mais majoritairement les gens on cette vision haineuse qui agit sur leurs comportements
    Celui-ci est dû, par définition, au manque de partage . Le partage du travail et des richesses y remédierait. Pour organiser l’intégration, on transmet le meilleur de notre culture, de notre langue, de notre histoire, de nos lois et de nos coutumes. Ce meilleur se renforce en s’étendant à de nouvelles populations. La violence des pays d’origine ? On n’a pas peur que des citoyens des États-Unis emménageant en France n’y amènent leurs armes à feu. Pourquoi redouter l’importation de la violence d’autres pays par des migrants qui l’ont justement fuie ?
    Considérer le migrant comme un prochain plutôt que comme un étranger.
    Chaque être humain d’où qu’il vienne sera à mes yeux une richesse plutôt qu’un caillou dans la chaussure.
    Lorsque nous laissons briller notre propre lumière, nous donnons inconsciemment aux autres la possibilité d’en faire autant.

    Amar.

  2. Très beau texte qui nous incite à réfléchir.
    Nous, français de souche, sommes partagés entre plusieurs sentiments, celui de la sollicitude et de la compassion mais aussi une certaine appréhension pour l ‘évolution de notre société avec une sorte d envahissement par d ‘autres cultures, d ‘autres religions qui mèneront à la fin de notre civilisation…

  3. Superbe ! Merci pour cette réflexion incisive, authentique, ouverte et sans polémique ! Continuez de nous écrire de tels beaux articles, s’il vous paît.

Les commentaires pour cet article sont clos.

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