Derrière les murs de Namur

Il faut pousser les portes de la capitale de la Wallonie. Celles de son imposante Citadelle, comme celles de musées originaux –l’un africain, l’autre dédié à l’étonnant illustrateur Félicien Rops– pour cerner l’identité composite de cette cité moins bourgeoise qu’il n’y paraît.

Au pied de la Citadelle, sur les bords de la Sambre ©YH

Tout de suite, prendre de la hauteur. La Citadelle se mérite : 20 minutes d’ascension à pied, à défaut d’un téléphérique annoncé pour 2020. Au moins, la montée dévoile de jolis panoramas sur la ville, située à la confluence de la Sambre et de la Meuse. Une position stratégique qui explique bien des convoitises. En effet, au sommet, Ariane, notre guide locale, déroule le fil de cinq siècles de turbulences. « La Citadelle est un lasagne de l’histoire », ose-t-elle, pour signifier les multiples changements de mains, des comtes de Namur au Royaume Uni des Pays-Bas. En 1692, Louis XIV se déplaça en personne, accompagné de son ingénieur en chef, Vauban. Filou, ce dernier s’était rendu sur place quelques mois plus tôt en se faisant passer pour un négociant en vins et repérer les failles des fortifications. Au terme d’un mois de siège, les troupes françaises s’emparèrent provisoirement des lieux.

Ariane nous entraîne dans le dense réseau de souterrains, d’où le surnom de « termitière de l’Europe » donné à l’édifice par Napoléon. La déambulation dans les diverses galeries est agrémentée de projections de films sur les murs qui font revivre un passé de combats et de résistances.

La politique culturelle se fait à la Corbeille

Le spectacle est aussi sur les murs…© YH

Nous redescendons en direction de la vieille ville, dite la « Corbeille » en raison de sa forme oblongue. Hier, elle était verrouillée par plusieurs portes, mais la dernière, la porte de Fer a disparu en 1862. N’empêche, nous imaginons l’enceinte et empruntons la route de Fer qui conduit au cœur de la cité, la place d’Armes.

Des statues figurent des emblèmes de la ville qui témoignent de l’humour et du sens de l’autodérision des Namurois. Pour évoquer la lenteur supposée des habitants, deux compères surveillent leurs escargots de peur qu’ils ne se sauvent… Sur un immeuble  voisin se détache l’image d’un célèbre natif des lieux, Benoît Poelvoorde, un acteur-clé à en juger par la composition du portrait. Pas de trace en revanche de Cécile de France, originaire d’un bourg voisin, Andenne.

Dans les rues de Namur © YH

Les murs de la ville sont également des supports d’animation. Ici, la tradition des « échasseurs » qui remonte à plus de 600 ans est évoquée. « C’est un vrai sport, assure Margaux de l’Office de tourisme, les jouteurs montés sur leurs échasses cherchent à faire tomber l’adversaire par tous les moyens ». La remise de l’échasse d’or, le troisième dimanche de septembre, est un temps fort des fêtes de Wallonie. Là, Naffissatou Thiam, athlète belge, championne du monde d’heptathlon, est à l’honneur, tandis que plus loin les adeptes du street art colorent abondamment les murs de brique, d’autant qu’un « Graffiti festival » incite à la création. On ne craint pas non plus de cultiver le paradoxe : l’un des poumons de la ville est connu comme « la place du Vieux », référence à l’ancien marché aux légumes, aujourd’hui rendez-vous incontournable des jeunes.

D’un musée à l’autre

Petite plongée dans l’histoire coloniale belge. La ville abrite un musée africain de belle facture qui rassemble notamment des pièces en provenance du Congo, du Rwanda et du Burundi dans l’ancienne caserne Léopold. C’est sous le règne, de 1865 à 1909, du deuxième roi des Belges, Léopold II, que fut lancée l’entreprise coloniale à laquelle participèrent bon nombre de Namurois. Les collections exposées sont aussi riches que disparates. Un lion que l’on s’attend à voir rugir trône au milieu de sagaies, boucliers, couteaux de scarification et d’excision.

Plus loin, un buste de l’explorateur Henry Stanley voisine avec un tableau inspiré du peintre congolais Sam Ilus. D’autres salles recèlent de petits trésors, un lot de figurines en ivoire, plusieurs fétiches ou « nkisis » et des masques de plusieurs ethnies. « C’est notre contribution au travail de mémoire », commente Joffrey, le bénévole qui assure la permanence. Un travail apprécié puisque les prêts se multiplient, en particulier à des musées d’Outre-Atlantique.

Spécialité locale, la Houppe jambes en l’air © YH

Le temps de déguster une bonne bière locale, la houppe jambes en l’air, et sans transition, nous filons au musée Félicien Rops (1833-1898). Né à Namur, le jeune caricaturiste assoiffé de liberté part pour Bruxelles. Il y fonde un journal, « Uylenspiegel, journal des ébats artistiques et littéraires ». Le ton est donné. « J’ai de furieuses envies de briser d’un coup de tête cette martingale de conventions », proclame-t-il. Sa vie sentimentale reflète l’anticonformisme de ses créations. Il épouse Charlotte, connue à l’université, avant d’entamer une liaison avec une jeune actrice, Alice Renaud, puis de conclure un ménage durable à trois, avec ses deux maîtresses, les sœurs et couturières Léontine et Aurélie Duluc. Bref, aucun souci des convenances. Pas étonnant, qu’il se rapproche du poète maudit à la vie tumultueuse, Charles Baudelaire. Pour lui, il réalise le frontispice des « Épaves », les poèmes censurés des « Fleurs du Mal ». Reste que le thème dominant – et le plus sulfureux – de l’œuvre de l’artiste est l’emprise du sexe sur la réalité humaine.

La dame au pantin de Félicien Rops (1877) © YH

Félicien Rops, séduit par la vie nocturne parisienne, fait l’apologie du droit au plaisir et d’une sexualité sans tabou. Sa série de « croquis sans prétention pour réjouir les honnêtes gens » dénonce l’hypocrisie de la noblesse de l’époque qui fréquente assidûment les bordels mais n’en dit mot. La femme est tout à la fois mise sur un piédestal, mais aussi représentée en dominatrice (« Les Dames au pantin »), en danger potentiel, lorsqu’elle transmet la syphilis ou se laisse guider par ses instincts, comme dans le célèbre « Pornocratès » (1878), où son égérie dénudée est guidée par un cochon. Indéniablement, Félicien Rops interpelle la société de son temps… comme celle d’aujourd’hui. Ce qui n’empêche pas le musée d’être soutenu par la Fondation Roi Baudoin.

 Fraises sucrées

Un autre parcours secoue gentiment, celui qui conduit en pousse-pousse électrique sur les bords de la Meuse. Promenade bucolique à souhait sous la conduite d’Anne-Sophie. Le long des berges quelques belles demeures d’architecture mosane se poussent du col pour afficher la prospérité de leurs propriétaires. Bientôt, surprise, des kiosques en forme de fraises géantes, s’immiscent dans le paysage. 

Sur les bords de la Meuse, près de Wépion © YH

Nous sommes arrivés à Wépion, le paradis de la fraise. Un petit musée vous propose une découverte complète de son histoire séculaire. On apprend qu’elle est le fruit d’un croisement spontané de plants du Chili et de Virginie qui donnèrent naissance en 1740 à la fraise de Plougastel. De la Bretagne à la Belgique, il n’y a qu’un pas.

Kiosque de ventes de fraises à Wepion, dans la commune de Namur © YH

La fraise fut ensuite cultivée en pleine terre, sous des tunnels ou des serres. La production locale appréciée, goûteuse, avoisine les 50 tonnes annuelles, loin encore de la production de la Flandre qui pratique la culture suspendue facilitant la cueillette. Sur le chemin du retour, nous passons devant le Parlement wallon. Il fut hier un hôpital, puis un hospice. « Pas de grand changement, persifle un habitué des lieux. Tous savent ce que sucrer les fraises veut dire ! ». Décidément, les Namurois manient l’irrévérence avec talent.

Yves Hardy

Pratique

° Y aller. En train. Prendre le Thalys à Paris – gare du Nord jusqu’à Bruxelles-Midi (1h 20), puis TER jusqu’à Namur (1h 10).

° Y séjourner. Un hôtel de charme dans la vieille ville, les Tanneurs. www.tanneurs.com

° Y manger. Le grill de l’hôtel les Tanneurs sert de délicieuses viandes Angus. Sinon, laissez vous tenter par un cadre typique, la brasserie François (www.brasseriefrancois.be) ou une table décontractée, le Bistro Bisou (www.bistrobisou.be).

° À voir.  – La Citadelle et ses souterrains :  www.citadelle.namur.be

– Le musée africain : www.musafrica.net

– Le musée Félicien Rops : www.museerops.be

° À faire. Une balade en pousse-pousse électrique sur les bords de la Meuse jusqu’à Wépion. Réservation sur http://tours.visitnamur.eu ou auprès de l’Office de tourisme : + 32 81 24 64 49. Visites guidées des vieux quartiers au départ de l’Office de tourisme à 14 h 30 (4 € par personne).

° Guides. Petit Futé Belgique (mai 2019, 13, 95 €) ; Géoguide  Belgique (Gallimard, 15,50 €).

° Renseignements. www.walloniebelgiquetourisme.fr  et www.visitnamur.eu

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