Européennes 2019 (1): les « lobbys bruxellois », entre fantasmes et réalité

À moins de trois semaines des élections européennes dont la campagne officielle a ouvert lundi, Magcentre répond à quelques questions essentielles que vous vous posez (sans avoir jamais osé le demander…) sur le Parlement européen, le rôle des lobbys, la montée du populisme en Europe, les fonds européens…

Pour ce faire nous avons fait appel à un spécialiste qui vit et a vécu l’Europe au coeur de son fonctionnement. Félix Henou qui travaille à Orléans à L’Association Française du Conseil des Communes et Régions d’Europe (AFCCRE). Son parcours: 

Félix Henou

Titulaire d’un Master Affaires européennes de Sciences-Po Lille, il a d’abord travaillé un an au Service de Presse du Parlement européen, avant d’assister 6 ans durant la députée européenne Bernadette Vergnaud dans ses travaux parlementaires. Suite aux élections de 2014, Félix Henou,  est entré au cabinet d’Affaires publiques Europtimum Conseil. A son retour en France à l’automne 2016, il a eu l’opportunité de rejoindre l’AFCCRE (L’Association Française du Conseil des Communes et Régions d’Europe) dont le siège est à Orléans, ce qui correspondait à son souhait de pouvoir mettre son expérience au service de l’action européenne des collectivités territoriales et de leurs élus.

Chargé de mission auprès du Directeur général Christophe Chaillou, Félix Henou traite notamment les aspects statutaires, le suivi de Platforma, réseau européen des collectivités territoriales actives dans le domaine de la coopération au développement, ainsi que le secrétariat de la délégation française au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.

S’il y a bien une idée reçue fortement ancrée dans notre imaginaire collectif, c’est la supposée connivence, voire la soumission, des institutions européennes, et notamment de la Commission, aux groupes de pressions privés. Cette relation ambiguë aurait pour effet de détourner la législation européenne de l’intérêt commun des citoyens au bénéfice d’intérêts particuliers.

Il y a bien entendu une grande part de vérité. Bruxelles est avec Washington la ville au Monde où se recense le plus grand nombre de lobbyistes. Mais il convient d’abord de préciser ce qu’on entend par lobbyiste : représentants d’entreprises privées ou de leurs fédérations sectorielles, cabinets de consultants qui œuvrent pour elles et leurs permettent d’affiner leurs stratégies et de leur offrir leurs carnets d’adresse, mais aussi syndicats, puissantes ONG et fondations de la société civile, qui n’ont pas toujours les mêmes moyens financiers mais n’en sont pas moins efficaces.

Cette forte présence des lobbys de tous types s’explique en premier lieu par le fait que la législation européenne porte pour l’essentiel sur des sujets très techniques, liés à des questions d’harmonisation du marché intérieur. On pense bien sûr à la question du calibrage des fruits et légumes, mais cela peut aussi porter sur des normes de sécurité d’équipements industriels, de reconnaissance mutuelle entre systèmes sociaux ou de reconnaissance mutuelle de diplômes sur des cursus harmonisés.

Prendre l’avis de tous

Une autre explication tient au fait que les législateurs n’ont pas nécessairement une connaissance approfondie de ces sujets : la rotation automatique des postes en vigueur à la Commission, destinée à éviter le « copinage » a pour effet pervers que les fonctionnaires ne sont plus nécessairement des spécialistes de leur domaine, et n’ont que quelques années pour maîtriser un secteur, avant de changer de Direction générale.

De même, les députés européens ne peuvent pas toujours être spécialistes de tous les sujets qui leurs sont confiés –de même que leurs collaborateurs- et le Parlement européen n’est pas –au contraire du Parlement français- une simple chambre d’enregistrement des législations gouvernementales.

Aussi, tous ces maillons de la chaîne législative, du débat de l’élaboration d’un texte à son adoption en passant par les amendements parlementaires et les négociations avec les Etats membres, doivent pouvoir se faire une idée précise des tenants et des aboutissants d’un sujet, et il est donc indispensable de pouvoir rencontrer les différents acteurs: industriels, syndicats, ONG environnementales ou de défense des consommateurs, instituts de normalisations, experts,… A chacun ensuite, en fonction de ses priorités ou de ses affinités de défendre les positions qui lui semblent les plus pertinentes.

Il s’agit aussi d’un jeu de stratégie, il est toujours important de connaître les arguments de tous, y compris si l’on veut pouvoir s’y opposer, et anticiper leurs mouvements. Cela permet ainsi d’identifier d’où proviennent certains amendements en apparence innocents mais qui peuvent avoir des conséquences importantes. Tout cela s’apprend avec l’expérience, ce qui explique aussi l’influence de députés européens qui ont de l’expérience et qui se sont investis dans le travail législatif.

Une véritable transparence sur les rapports lobbys-députés

Toutefois il existe une grande différence avec la pratique du lobbying « à la française », entre anciens camarades de promotions de grandes écoles au plus haut niveau de l’Etat : tout cela est très transparent. Tous les représentants d’intérêts doivent être enregistrés dans un registre public pour pouvoir accéder aux institutions. Les Commissaires européens et leurs proches collaborateurs sont désormais tenus de rendre publics les rendez-vous qu’ils ont avec des lobbyistes. De même, une nouvelle disposition incite les rapporteurs parlementaires à faire figurer la liste de toutes les personnes rencontrées au cours de l’élaboration de leur rapport. Cela s’ajoute au fait que l’essentiel de la procédure législative est accessible au public.

Il y a certes encore beaucoup à faire pour rééquilibrer l’influence entre secteur privé et société civile, notamment au niveau de la Commission. Mais Bruxelles est loin d’être le panier de crabes que l’on veut bien dénoncer. Il s’agit surtout d’indépendance des députés vis-à-vis des lobbys (et des gouvernements nationaux), qui est avant tout un choix et une question de priorités politiques et personnelles. C’est aussi un enjeu majeur du vote du 26 mai.

F.H

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