La Conférence de l’homme pressé de la réforme

Par Pierre Allorant, vice-président de l’université d’Orléans, politologue.

Après l’enregistrement pour rien, sur fond d’incendie de Notre-Dame, et la longue attente des réponses du pouvoir à près d’un semestre de mobilisation de la colère, Emmanuel Macron se devait de marquer les esprits tant sur la forme de son intervention que sur la vigueur et la nouveauté des annonces. S’il a incontestablement, à son habitude, montré de l’aisance dans un exercice très marqué par la pratique gaullienne, le président de la République a également fait le pari de préférer « tracer le cap » plutôt que de multiplier les annonces de mesures catégorielles, déléguées explicitement au gouvernement et à son chef, confirmé au passage.

Déconcentration administrative

Pour sortir du rond-point sans issue de la contestation, Emmanuel Macron a évité de jouer le remake du discours avorté de lundi dernier, bien qu’il en ait repris nécessairement la plupart des éléments. Ce refus d’une redite est allée jusqu’au paradoxe d’évoquer la « rumeur » de la suppression de l’ENA, avant de confirmer cette volonté de ne pas procéder à un « rafistolage » du mode de recrutement des élites.

La préfecture du Loiret rue de Bourgogne à Orléans.

Précisément, la réforme de l’État, de l’action publique, du service public a tenu une grande place dans sa longue intervention liminaire. Ce n’est pas seulement chez le Michel Debré de 1958 que le réformateur de 2019 a puisé son inspiration, mais avant tout chez le jeune Debré, conseiller d’État auprès du général de Gaulle et de Jules Jeanneney à la Libération. Là encore, Macron s’inscrit dans une lignée très caractéristique de la France pour laquelle la réforme est d’abord celle de l’État, de ses échelles et périmètres d’action, de son administration de mission, de l’alliage déconcentration/décentralisation. En pur produit de l’énarchie, le chef de l’État commence par envisager un renforcement du pouvoir de décision des préfets au détriment des ministères, par déconcentrer en rapprochant la décision administrative du ressort de son application.

Le retour de l’échelon cantonal

Roger Secretain, ancien maire d’Orléans.

Emmanuel Macron insiste aussi sur la pertinence territoriale d’un bassin de vie, celui du canton, qui ne reste clairement perçu que dans la ruralité. Sans l’expliciter, il renoue ainsi avec l’expérimentation révolutionnaire du Directoire de 1795 qui avait tiré les conséquences de l’impuissance des communes en donnant corps à leur regroupement au sein de municipalités de canton. La même idée était ressortie au lendemain de la débâcle de juin 1940, à Orléans, dans le cadre de la première régionalisation par les préfets, de la création, sur les rives de la Loire moyenne, de la première école régionale d’administration destinée à former des secrétaires cantonaux, sorte de « sous sous-préfets », conseillers des maires ruraux. Comme pour la renaissance universitaire d’Orléans, l’un des inspirateurs de ce projet n’était autre que Roger Secrétain, futur député mendésiste puis maire gaulliste de la nouvelle capitale régionale.

Différencier, décentraliser, préserver

L’annonce d’une nouvelle étape – pas d’un nouvel acte, l’acteur contrarié qu’est Emmanuel Macron laissant le vocable aux intermittents du spectacle hebdomadaire de rue du samedi – de décentralisation est présentée comme la volonté et le moyen de réconcilier les Français avec leurs élites. La promesse de proximité et de présence d’agents de services publics dans les territoires, par redéploiement des effectifs d’administrations centrales, sera plus difficile à tenir, même avec la mise entre parenthèses de l’objectif de réduction des 120 000 fonctionnaires.

Si le veto accordé aux maires sur la fermeture des écoles et des hôpitaux signifie l’arrêt de ce « déménagement du territoire », la lutte contre les déserts médicaux, si cruciale en Centre-Val de Loire, se résume pour l’heure à donner aux doyens de médecine le pouvoir de fixer le niveau de leurs effectifs étudiants. Quant à la différenciation territoriale, à l’expérimentation, elle reste très floue dans ses modalités et semble avant tout destinée à répondre aux spécificités l’Outre-Mer et de l’insularité corse.

Réconcilier les territoires et les élites administratives, l’adieu aux Grands corps

La véritable leçon tirée par le pouvoir de la crise des « gilets jaunes » semble se résumer à l’affichage de la détermination à réconcilier les villes moyennes avec les métropoles et le rural. Il n’est pas sûr que l’installation de campus connectés dans ces sous-préfectures ou modestes préfectures suffise à parvenir à ce résultat, ni même l’établissement généralisé de « Maisons France services », sur le modèle loué de « ma cabane de services publics » au Canada. Dans un premier temps, c’est le préfet qui est privilégié dans ses responsabilités de terrain et de coordination de tous les services déconcentrés, au nom de la « simplicité, (car) c’est la vraie protection, le vrai service au public ».

Le préfet de région et du Loiret,Jean-Michel Falcone.

Volet complémentaire, la réforme annoncée de la haute fonction publique vise à rénover le modèle méritocratique, l’« élitisme républicain » cher à Jean-Pierre Chevènement, ancien énarque et contempteur de ce moule inutile que serait devenu l’ENA. L’acte d’accusation, déjà ancien, porte sur un recrutement qui « ne ressemble pas à la société ». Autre grief avancé, recevable : une école d’application trop fermée « à l’université, au terrain, à l’international ». Au-delà du symbole de la suppression de l’ENA, la fin programmée des grands corps est encore plus ambitieuse, sauf si la mission de M. Thiriez se limitait à supprimer les emplois à vie. En toute hypothèse, se contenter d’en revenir à l’avant ENA serait contre-productif, sauf à vouloir transformer le « président des riches » en restaurateur de la balkanisation des concours ministériels, du monopole de Sciences Po, de la recommandation par la famille et le réseau social.

GénérationS: les retraités à l’index, le désir d’avenir européen des jeunes, la difficulté d’être une femme seule

Retrouvant des accès de campagne électorale, cette fois franchement de droite, le chef de l’État a continué son travail de sape de l’électorat de LR, en commençant par son cœur de cible : les retraités, champions de la participation électorale. Corrigeant la faute de goût initiale, la réindexation des retraites ne portera pas uniquement sur les petites, elle sera généralisée en 2021.

Mais les autres générations, pour pasticher Benoît Hamon, n’ont pas été oubliées. Aux jeunes, le rêve mobilisateur d’une Europe puissance mise en mouvement par une France active dans la transition écologique, qui plus est alimentée en idées par une Convention citoyenne de 250 citoyens tirés au sort, à l’instar d’une partie d’un CESE ravalé, et dotée d’un « Conseil de défense écologique ».

Quant aux familles monoparentales, massivement constituées de femmes seules au seuil de la pauvreté, le pouvoir sera donné aux caisses d’allocations familiales de prélever directement les pensions non-versées.

Tout se joue avant 1 000 jours, le retour de la politique familiale

Face au cri d’injustice fiscale remonté des six côtés de l’hexagone, Macron a apporté une réponse décalée : pas de retour à l’ISF, une simple évaluation déjà prévue, pas d’augmentation ciblée de l’impôt sur le revenu ou sur les grosses successions, tout au contraire, une baisse des impôts des actifs, des classes moyennes, et une volonté proclamée d’œuvrer à la racine des injustices, des « vraies inégalités françaises » : la petite enfance, puis l’école. C’est l’un des rares domaines où le président est descendu aux chiffres, à défaut de chiffrage : après le dédoublement du CP à 12, la classe à 24 maximum pour tous. En revanche, la revalorisation du métier d’enseignant, puisque « la République s’est construite comme cela », attendra les arbitrages budgétaires et l’annonce des suppressions précises de niches et d’organismes supposés inutiles. De même, le retour à l’ambition d’une politique familiale, avec pour objectif de renouer avec la dynamique de la natalité, s’inscrit en rupture avec une décennie de basculement vers une mise sous conditions de ressources des aides aux familles.

Valeur travail et art d’être français, « L’agenda 2025 »

Avec des accents dignes du Sarkozy du début de mandat, Emmanuel Macron a mis en avant la « valeur travail », qui, comme l’Allemagne après la Grande Guerre, devra payer, à travers les dispositifs gaulliens de l’association : intéressement, participation et la reconduction de la prime exceptionnelle, sans charge ni impôt. Mais le « Pacte productif pour le plein emploi en 2025 » passe aussi par l’accompagnement des jeunes « assignés » dans les périphéries, loin des métropoles, ou par l’aide à la garde des enfants.

Si travail et famille sont classés dans le lot des caractères originaux invariants de « l’art d’être français », la patrie y figure aussi, ouverte à l’Europe, mais solide sur ses frontières, retrouvant « l’indispensable contrôle », termes clés de la campagne du « leave » des Brexiters en 2016. Là où l’insistance sur la volonté de « réaffirmer les permanences du projet français » prend de nets accents électoraux, c’est quand arrive le moment « laïcité », vite dérivé en une séquence de lutte contre le « communautarisme » et le « projet politique de sécession » de l’islamisme radical. Les autres aspects, du service national universel à la défense de la langue, auront, sans nul doute, été couverts par cette martiale déclaration « d’intraitable reconquête républicaine ». Preuve s’il en était besoin que la campagne électorale des européennes n’était jamais loin, l’affirmation de l’échec de l’espace Schengen, de la nécessité d’un droit d’asile commun et d’un « patriotisme inclusif » tendait à donner cohérence à l’ensemble du discours présidentiel.

Politique d’abord: délibérer mieux à moins, une arithmétique parlementaire

En comparaison de cette insistance sur « l’intérêt général français », les autres thématiques n’ont donné lieu qu’à un rappel pour mémoire, sans apport nouveau ni précision, de la dépendance à la transition climatique « européenne ».

Si les interpellations des journalistes ont avant tout porté sur la mise en cause personnelle et l’éventuel changement intérieur du chef de l’Etat, cet acte II du quinquennat, ce « nouveau départ » amoureux entre Jupiter et son peuple, Macron l’a réfuté, tout en assurant, en premier de cordée pris en flagrant délit de suffisance : « Je peux mieux faire aussi ! »

Macron II le « plus humain, plus enraciné » est arrivé, transformé par « ce moment » où il n’y a plus ni merci, ni répit, moins dans l’« injonction permanente », mais assumant d’être le « point de mire en même temps que la clé de voûte ». Lui aussi va travailler plus – peut-être même au-delà de 62 ans, qui sait ? – pour gagner plus d’empathie et reconquérir « chaque centimètre de bonheur républicain et civique ». Dans l’immédiat, pour « être à bonne hauteur de l’histoire », il prend le contre-pied de l’attente des réformes institutionnelles attendues. Ni reconnaissance du vote blanc, ni vote obligatoire, ni RIC – trop « gilets jaunes », ni référendum à questions multiples – trop risqué, pas de démocratie du « référendum permanent », place au « temps de la délibération ».

Tournant le dos à « l’ordalie de la République », au jugement incendiaire et purificateur du peuple souverain. Pour sortir de notre façade trompeuse de « village Potemkine » digne de Tintin chez les Soviets, vive le retour à « l’ancien monde » des équilibres et compromis parlementaires : loin des rivages de la démocratie participative, le retour d’une dose de proportionnelle (20%) pour les deux assemblées et d’une réduction moins forte du nombre de parlementaires (25%). Pour le dire autrement, puisqu’on ne peut contenter tout le monde et son père, il est plus utile de satisfaire et Bayrou et Larcher pour faire passer la révision constitutionnelle sans passer par la case référendum.

Manifestement, Emmanuel Macron entendait « donner un cap pour lever les grandes peurs ». D’aucuns auront avant tout entendu son « envie furieuse » de « réussir ce mandat », afin de gagner une nouvelle possibilité de « mieux faire », selon son propre agenda.

P.A

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  1. Un point de détail, mais qui a son importance: le président de la République semble ignorer que son prédécesseur (dont il était l’obligé) a supprimé le canton comme collectivité territoriale. Les nouveaux cantons ne sont plus que des circonscriptions électorales dessinés avec des intentions électoralistes, sans aucune préoccupation de géographie, d’histoire, d’économie, de réalité humaine. Autrement dit, ce que l’on appelle aujourd’hui “canton” n’a bien souvent plus aucun rapport avec un bassin de vie (ni avec un bassin d’emploi). Ainsi, à Cercottes, à Chevilly, à Artenay, nous somme désormais dans le “canton” de Meung-sur-Loire. Si ce n’est pas de la technocratie contraire à la réalité humaine, je n’y comprends rien: je ne connais personne de ces communes qui aille faire son marché à Meung-sur-Loire !

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