Slovaquie : y aurait-il du nouveau à l’Est ?

C’est fait, elle est élue ! Zuzana Čaputová est devenue la première femme présidente de la République slovaque ; elle et son parti, Slovaquie Progressiste (PS), ont remporté le second tour des élections présidentielles, le 30 mars 2019, à une très forte majorité (58%). Que nous dit cette victoire électorale au sein de ce petit pays d’Europe centrale ? Cette partie du continent et de l’Union européenne que l’on semblait vouée au populisme, au conservatisme, ainsi qu’à une dérive autoritaire du pouvoir, nous offrirait-t-elle un nouveau visage ? Y aurait-il, à l’Est, du nouveau ?

Nous avions évoqué ici la situation politique de la Hongrie, devenue une démocrature et dont le modèle orbanien bénéficiant de la bienveillance russe semblait devenir contagieux dans la région. Les frasques populistes de celui que la jeunesse de Budapest nomme désormais « Viktator » ont conduit récemment le PPE (Parti populaire européen) à suspendre temporairement le Fidesz, parti du dirigeant hongrois, de ses rangs.

L’anti-Orban

Plus au nord, la petite Slovaquie (5,4 millions d’habitants) s’éloigne avec cette victoire de Zuzana Čaputová du modèle politique incarné par le leader de Budapest. Mais qui est cette femme issue de la société civile ? Zuzana Čaputová est une avocate de 45 ans, mère de famille, acquise aux idées progressistes et très impliquée dans la cause environnementale. Ses prises de position en matière sociétale, en particulier pour l’accès à l’IVG et le droit à l’adoption pour les couples homosexuels, ont remporté l’adhésion dans ce pays pourtant de vieille tradition catholique. Parmi ses promesses électorales, la candidate pro-européenne entend apporter davantage de soutien aux personnes âgées et engager une réforme de la justice pour renforcer son indépendance. L’analyse du scrutin montre que l’ouest de la Slovaquie a majoritairement voté pour elle, la capitale Bratislava en particulier, qui avait désigné dans un passé récent, avec Matúš Vallo, un jeune maire lui aussi issu de la société civile. L’est du pays (plus rural et moins peuplé) s’est montré davantage conservateur dans son vote n’apportant qu’un soutien moindre à une candidate incarnant le changement et un renouveau démocratique.

Bratislava

Certes, la nouvelle présidente qui succède au populaire Andrej Kiska n’aura qu’un pouvoir relativement symbolique au sein du jeu institutionnel slovaque. Son accession au pouvoir marque néanmoins une rupture avec le national-populisme qui s’enracinait en Europe de l’Est. Ainsi, l’ère Fico pourrait bien être révolue en Slovaquie. Robert Fico, ancien chef du gouvernement, fondateur du parti social-démocrate SMER ayant basculé dans le populisme, avait été pointé du doigt par l’opinion à la suite de l’assassinat du jeune journaliste Jan Kuciak et de sa compagne. Les manifestations populaires dans tout le pays à la suite de cet assassinat avaient déjà marqué un tournant politique notable et conduit Robert Fico, et son ministre de l’Intérieur, Robert Kalinak, à démissionner. Ils incarnaient l’ancien monde teinté d’une réapparition d’une couleur sombre que le peuple a démocratiquement réfuté en décidant de confier la magistrature suprême du pays à Zuzana Čaputová.

Zuzana Caputova, la Présidente de nous tous

Celle-ci l’a remercié en slovaque mais également dans toutes les langues des minorités présentes sur le territoire national, au terme d’une campagne où elle ne fut pas épargnée par ce caniveau que peuvent constituer les réseaux sociaux… « Je suis heureuse de ce résultat, mais aussi du fait qu’il ait été possible par des moyens que beaucoup pensaient impossible : en exprimant mon opinion, en n’ayant pas recours au populisme, en disant la vérité, en attirant l’attention et en gagnant la confiance sans rhétorique agressive et sans coups bas ».

L’avenir politique des démocraties européennes serait-il aux femmes ?

Vent d’Est

Un souffle démocratique se fait actuellement ressentir en Europe centrale. En Hongrie, l’opposition se requinque et peut désormais offrir aux citoyens une alternative politique crédible. L’hiver fut marqué par une très forte agitation sociale, des manifestations contre l’Orbanie eurent lieu, rassemblant partis, syndicats et étudiants. Le succès aux prochaines élections municipales pour le Fidesz, le parti d’Orban, est loin d’être certain. Ainsi, l’opposition pourrait ravir la capitale à la majorité formée par le Fidesz-KDNP. La Hongrie change. Faut-il le signaler à l’ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, qui, lors d’un récent colloque à Budapest sur les migrations, et en présence de son « ami » Viktor Orban, a salué « un grand pays démocratique », un chef « capable de gagner les élections trois fois de suite » ? Il semble que les Hongrois ne l’entendent plus tout à fait ainsi.

Sur les bords de la Vistule, le PiS (Droit et Justice), parti politique acteur du national-populisme à la polonaise, connaît également des déboires électoraux. Ce parti dont le président est l’incontournable Jaroslaw Kaczynski a certes remporté les élections locales d’octobre 2018, mais a échoué dans la conquête de plusieurs villes d’importance. À Varsovie, Rafal Trzaskowski (PO), ancien député européen et ancien ministre, a été élu au premier tour avec 56,67%, soit le double de son rival du PiS, le vice-ministre de la Justice Patryk Jaki, qui a obtenu 28,53% des voix. Rien n’assure que le PiS pourra se maintenir au pouvoir à l’issue des prochaines élections législatives. Les Polonais dont la fierté nationale est exaltée par Jaroslaw Kaczynski, le véritable maître du pays, semblent enfin s’inquiéter des attaques répétées contre l’État de droit. La généreuse politique sociale rendue possible par la bonne marche de l’économie ne pouvant masquer éternellement la mise au pas de la justice et des médias contre laquelle la Commission européenne s’était déjà élevée.

A Prague, le ploutocrate Andrej Babiš – le Trump local – fait l’expérience de l’indépendance d’esprit des Tchèques. Les médias publics ne ménagent pas leurs critiques envers son action gouvernementale ; la justice, ici encore indépendante, entendra prochainement le Premier ministre Andrej Babiš dans le cadre d’une affaire de détournement de fonds européens. Ce dirigeant populiste qui a connu une ascension politique fulgurante en tenant un discours anti-élites et anti-migrants est de plus en plus contesté. Ainsi, le parti « Pirates » a remporté des succès aux législatives de 2017 ainsi qu’aux municipales ; un de ses membres est devenu maire de Prague ! Les « Pirates » seraient-ils en train de passer à l’abordage du mouvement ANO du milliardaire Babiš, chantre du populisme entrepreneurial ?

Paysage des Tatras.

Il faudra suivre avec la plus grande attention l’évolution de la vie politique de ces pays ayant récemment rejoint l’Union européenne, mais dont certains leaders actuels, à l’image d’Orban, ont très vite oublié, au gré de leurs calculs électoraux, les principes fondateurs, à commencer par l’article 2 du traité de l’Union ! Les citoyennes et citoyens d’Europe centrale seraient-ils en train de leur rappeler qu’ils ne se réduisent pas à des « peuples » que leurs nouveaux maîtres nationaux-conservateurs entendent écarter à force de propagande et de violence d’État d’une pleine et entière intégration aux valeurs et principes de l’UE ?

Les résultats de l’élection présidentielle au sein de la petite république slovaque confirment une donnée déjà observée ailleurs en Europe. Tout d’abord, l’abstention record pour un scrutin traditionnellement mobilisateur. On a ainsi observé le plus faible taux de participation (41,7%) jamais enregistré pour le second tour d’une élection présidentielle en Slovaquie depuis l’instauration du scrutin direct en 1999. D’autre part, le clivage politique espace urbain/espace rural se confirme ici comme ailleurs. L’électorat urbain, jeune et éduqué, a voté pour celle que l’on présente désormais comme la Macron slovaque. Au contraire, le vote dans les campagnes fut beaucoup plus conservateur.

Ce vent qui commence à souffler à l’Est sera-t-il durable, le printemps et ses élections européennes nous réservent-ils d’heureuses surprises : un réchauffement, une soudaine douceur démocratique ? Il convient d’être prudent ; dans cette partie de l’Europe, une invasion d’air froid est toujours possible, elle est traditionnellement alimentée par des courants continentaux venus de Russie…

Jean-Pierre Delpuech.

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