Il pleut, il fait toujours gris sur le film de François Ruffin et Gilles Perret, « J’veux du soleil ». Ceci explique cela. De ce tour de France hivernal en maillot jaune, mais en chevauchant sa “petite reine”, une Berlingot Citroën, de la Somme à la Saône-et-Loire de l’Ardèche aux Bouches-du-Rhône, les deux hommes ont tourné un road trip, un docu-reportage engagé dans la veine de « Merci patron » du même Ruffin qui la jouait plus humour en côtoyant les méchants patrons.
Une salle comble pour voir “J’veux du soleil”. Au centre Gilles Perret, le réalisateur.
Dans « J’veux du soleil » ceux d’en haut, les « privilégiés » les valets des riches (président, éditorialistes, commentateurs patentés) n’apparaissent qu’à travers des séquences TV qui ne servent que de contre-champs toujours cruels au désespoir de ceux d’en bas,des gueux du 21 ème siècles, des désespérés des ronds-points.
Mercredi soir, la grande salle des Carmes à Orléans était archi-bourrée, de même que le balcon où s’était installée une poignée de gilets jaunes en uniforme. Des salves d’applaudissements nourris ont ponctué la fin du film dont Gilles Perret a raconté la genèse en préambule sur la scène, flanqué du producteur. François Ruffin,
Sur la route de Ruffin, un portrait saisissant.@Fakir
Le député-reporter, son premier métier à la tête du journal Fakir, filme avec son réalisateur les portraits, toujours émouvants, parfois drôle dans l’expression, ceux des Corinne, des Carine, des Khaled des Rémi,, des Denis, des Cindy, des Marie. Des tranches de vie de cette France d’en bas, dont les « hontes privées » d’avoir plongé, se sont d’un coup libérées par la parole déchaînée, sur les ronds-points dans leurs cabanes, leurs abris moches fait de bric et de broc à l’image de leur vie, tricotées tant bien que mal à coup d’aides sociales, de petits boulots précaires, d’intérim et même des lotos bingo qui donnent droit à des bons d’achat Auchan. « Douce France, cher pays de mon enfance », la belle chanson de Trénet en fond, sonne comme une provocation face à ces grands déballages, à cette France invisible qui tout d’un coup depuis novembre a crevé les écrans.
Des vies cabossées, bonnes pour la casse
au micro le producteur du film Thibault Lhonneur.
Ruffin est à la fois le fil rouge (jaune ?) du film. Empathique, bienveillant, il tutoie d’emblée, interroge, fait réagir. En reporter militant. Chez tous il passe bien, il débarque avec sa réputation, sa gouaille et sa compassion n’est pas feinte à l’écoute de ces vies cabossées, bonnes pour la casse. Ostensiblement, la caméra et le montage du film montrent l’émotion réelle du député de la Somme. Invité chez le retraité, la mère de famille avec deux gosses et 500€ par mois, chez ces gueules cassés de l’emploi. L’une d’entre elle parle de « la petite porte ouverte de la petite lumière. Je vois du soleil, du jaune derrière ». La parole populaire est parfois belle, Ruffin a su la saisir. Il n’abuse pas des scènes de violence, y compris policière. En revanche, par brève séquence, il truffe son récit-témoignages des discours de Macron qui dit avoir “compris” les gilets jaunes et de ceux des journalistes-éditorialistes des plateaux TV qui dénoncent l’homophobie, le racisme, l’antisémitisme de certains gilets jaunes et ont la bouche pleine du « lien social » qu’il faudrait retisser. En oubliant à force de manichéisme que les vrais reporters, les journalistes, pas les commentateurs de plateaux ont eux aussi donné la parole aux gilets jaunes en TV, radio et presse écrite.
Un film d’amour?
Ruffin dit que « J’veux du soleil » est un film d’amour ». De haine aussi lorsque des gilets dénoncent la vaisselle et les travaux à l’Elysée, le prix de la moquette, l’affaire de la piscine de Brégançon mais aussi l’ISF. Dans la bouche de Ruffin de politique « politicienne » il n’est pas question, il ne fait pas de retape ostensible pour LFI. Des gilets disent eux qu’ils vont s’y mettre à la politique que de s’être faire tant bernés ils vont lire la Constitution…
Par instant, Ruffin montre l’art consommé qu’il a de verbaliser cette misère, de terreau jaune sur lequel il ferait bien pousser ses couleurs. Un non-dit dans le film qui n’est pas un film de propagande mais de purs témoignages, adroitement montés, mais qui restera un document parmi d’autres de cette période dont nous ne connaissons pas encore l’issue. Ce film fera t-il basculer des gilets jaunes vers LFI ? En tous cas, par son charisme, son empathie, sa rhétorique sociale, son lyrisme, François Ruffin se pose de plus en plus comme l’héritier de Mélenchon… sans le passé de sénateur et de Ministre socialiste.
Ch.B