Par Pierre Allorant
Monsieur le Président
Je vous fais une lettre…
Il serait très présomptueux et inexact de considérer comme identique la situation de crise actuelle et celle de la guerre d’Algérie qui suscita la lettre du déserteur de Boris Vian, dont on redécouvre actuellement toute la richesse créatrice. Le genre épistolaire appliqué au domaine politique possède ses lettres de noblesse avec la réélection brillante de François Mitterrand en mai 1988, précédent à faire rêver tous ses successeurs, réduits au rôle de gestionnaires de court terme, bien loin du règne de monarque républicain de quatorze ans, aussi inédit qu’insurpassable.
Des chiffres et des lettres, justice fiscale et démocratie
Si Emmanuel Macron renoue avec cet exercice, utilisé également en son temps par Nicolas Sarkozy, c’est dans l’espoir non de « renouer la chaîne des temps » tel Louis XVIII avec la Charte de 1814, mais du moins pour retrouver la magie de l’incarnation du « père de la nation » qui a fonctionné en tout début de mandat, de la cérémonie du Louvre aux coups d’éclats diplomatiques. Pour lui, il ne s’agit pas d’ « oublier Palerme » à l’instar d’Edmonde Charles-Roux, épouse d’un Gaston Defferre dont la conviction décentralisatrice pourrait être précieuse aujourd’hui, mais bien d’oublier les « sept mois de malheur » qui l’ont mené du miroir brisé de son cabinet par Benalla à l’adieu aux armes de ses ailes sécuritaires et écologistes, l’abandon de poste du gnafron lyonnais et de l’icône médiatique de l’écologie politique.
Parole d’en haut et remontée du débat d’en bas
La lettre ouverte manifeste par nature le désir d’ouvrir publiquement le débat, de ne rien cacher bien au secret de l’enveloppe scellée. En l’espèce, le défi est immense, et le pari rien de moins que de jouer le restant du quinquennat à quitte ou double. Défi immense, car comment imaginer que les mots présidentiels suffiront à éteindre l’incendie que lui-même a contribué à attiser, de paroles provoquantes en mesures mal comprises, voire rejetées, et surtout jusqu’à présent sans résultat palpable.
Plus compliqué encore, l’improvisation et les pataquès n’ont pas manqué dans la préparation de ce « Grand débat » annoncé, des atermoiements sur le périmètre et les thématiques, les totems et les tabous, à la pantalonnade du vrai-faux départ de la présidente de la Commission nationale du débat public, habituellement mieux inspirée. Reste la gageure : comment faire remonter aux gouvernants, sans sélection ni déformation, les doléances d’en bas ? Comment faire suivre d’actes les paroles individuelles sans médiation des corps intermédiaires ?
Le grand écart permanent: un président ne devrait pas dire cela
Quant au président de la République, enfin sorti de son palais, il semble avoir compris que la multiplication des tweets est moins miraculeuse que celle des pains pour connaître l’état de l’opinion publique, et qu’une bonne immersion à une heure de Paris suffit à prendre le pouls des élus de la nation, ces soutiers des mairies qui demeurent les seuls relais respectés des citoyens.
Questions pour un champion
Si la performance physique et intellectuelle du président a impressionné, elle a une nouvelle fois été polluée par la petite phrase de trop qui, coupée et sortie du contexte, ne fait qu’accréditer l’image d’un dirigeant brillant mais arrogant. Après les provocations gratuites de Sarkozy et les postures désacralisantes et inopinées de Hollande, les doubles fautes à répétition de Macron, cet enfant gâté de la politique, ont fini par saper l’adhésion même à un régime sexagénaire, au point d’envisager une proportionnelle intégrale qui, dans la configuration actuelle des familles politiques, rendrait impossible toute majorité stable et, comme dans le système israélien, grossirait le poids des extrêmes dans des coalitions hétéroclites, avant de se ressembler au point de s’assembler. Procès d’intention ? Quand on décrypte les déclarations du « fascinant » Éric Drouet, le mélange, traditionnel depuis le boulangisme et l’antidreyfusisme, de populisme, d’antimaçonnisme et d’antisemitisme ne peut que soulever le cœur, avec en musique d’arrière-fond : « élites, je vous hais ! »
Mayflower et les pèlerins de l’archipel perdu
Theresa May
Ces derniers jours, les errances d’un « ennemi héréditaire », devenu fidèle allié lors des deux guerres mondiales, fournit également une bonne leçon de choses vues en politique, sans que la morale de la fable – et ses dindons – soient déjà clairement désignés, sauf à être tous bien pris qui croyaient prendre. Theresa May, la fille de vicaire anglican, lointaine cousine de la fille de pasteur venue de RDA, doit avoir la foi chevillée au corps pour rester debout, telle sa « Majesté Zombie », alors que ses ministres tombent comme des mouches et que désormais un tiers des députés conservateurs lui sont hostiles, et que deux tiers des élus ont repoussé l’accord péniblement négocié avec les 27. Sa capacité de résilience force, si ce n’est le respect pour la cohérence politique, du moins l’empathie personnelle. Mais ce sentiment ne fournit aucune recette pour sortir de l’impasse née de l’irresponsable roulette russe jouée par Cameron et le poker menteur gagné, à la Pyrrhus, par Johnson et Farage, les docteurs Folamour du hard Brexit.
Nous sommes tous des Dubliners
Comment trouver, en trois jours, voire même en trois mois si l’échéance de fin mars était repoussée, ce qui a été impossible à négocier en deux ans ? Pourquoi pas à travers un grand débat démocratique sur les vrais enjeux du mariage européen, de l’union libre douanière ou du divorce brutal ? Ce serait, en définitive, un bon moyen de mesurer notre parenté avec nos voisins d’Outre-Manche et notre bon usage du référendum. Et pour la rivalité, les terrains de rugby du mondial, où l’Irlande unifiée – shocking ! – règne sans « backstop », ce filet de sécurité bâti tel un mur métallique une nuit de « shut down », pour éviter que les Britanniques ne filent à l’anglaise, sont toujours les meilleurs juges de paix. Pour que la joie, et Joyce, demeurent. Avec ou sans hymne.