Par Pierre Allorant
Champion prodige à la Eddy Merckx, sorte de Mbappé de la présidentielle 2017, sorti de nulle part et larguant tous ses concurrents par son double démarrage, Macron est empêtré depuis six mois dans des ratés à répétition qui ont transformé Gatsby le magnifique en « président des riches » exécré pour l’amenuisement de l’ISF, son Diamant gros comme le Ritz. Il apparaît en cette fin d’année proche de la sortie de route, du carton rouge qui mettrait un terme à toute ambition réformatrice jusqu’en 2022.
Perdre ses couleurs
Le grand historien Michel Pastoureau a lumineusement analysé les significations symboliques évolutives des couleurs dans l’histoire culturelle et politique française. Or le jaune, longtemps associé à la peinture du mari trompé, a été associé à l’infâmie et au déshonneur. Si le pouvoir actuel broie du noir et semble pris de vertige devant la feuille blanche des solutions nouvelles à inventer et à faire partager, la colère, minoritairement captée par le rouge et le noir, voire le brun, porte ce jaune souvent décrié comme le masque du traître, du briseur de grève au sein du mouvement ouvrier.
Clin d’œil à l’histoire politique récente, quand les Marcheurs ont surgi au sein du paysage politique, dépassant l’opposition des roses et des bleus de gouvernement, captant une part des aspirations des Verts et se situant à proximité de l’orange du MoDem, les analystes leur ont attribué cette couleur jaune qui prend place au sein du spectre solaire entre le vert et l’orangé. Ce même jaune marque aujourd’hui le rejet de leur politique de réformes menée, dix-huit mois durant, au pas de charge, produisant l’amertume de « faire tintin », de serrer la ceinture au pays de l’or noir lourdement grevé de taxes.
Fièvre jaune
Pour avoir sous-estimé ce péril jaune des souffrances restées longtemps sourdes, de cette France des « petits contre les gros » représentée et défendue sous la Troisième République par le Parti radical du « Français moyen » Edouard Herriot, puis par le mouvement gaulliste et en dernier lieu par le Parti socialiste de Mitterrand, l’exécutif a perdu toute envie de rire, même jaune, ce « rire contraint qui dissimule mal le mécontentement, le dépit, la gêne » selon Littré.
Les photos du macronisme triomphant, à l’intérieur par la loi et l’ordre, à l’internationale par le verbe européen et l’ambition climatique, ont prématurément jauni sous l’effet de la fièvre jaune hexagonale, cette jacquerie « gauloise » si maladroitement moquée par le Président, qui plus est lors d’un déplacement à l’étranger, double faute.
Arc en ciel de la colère
Rappelons que l’un des déclencheurs du mouvement a été l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h, ressentie comme une relégation par la France des petites villes et de la ruralité, alors qu’aujourd’hui, d’un rond point bloqué l’autre, cette moyenne serait saluée comme une vitesse de pointe. Désormais, la route est bien étroite pour le reste du quinquennat, sans parler de la bombe à retardement psychologique du prélèvement à la source en guise de cadeau de Réveillon, soit l’inverse exact de l’effet désespérément recherché, avec la complicité inquiète du patronat, d’une hausse du pouvoir d’achat.
Comment un attelage exécutif aussi contesté et affaibli serait-il dorénavant en mesure de mettre en œuvre la « mère des réformes », sans risquer de battre en retraite ? Comment prendre encore le risque, en réduisant d’un tiers le nombre de parlementaires, de les éloigner davantage des citoyens, aggravant l’effet de la reforme territoriale des 12 grandes régions et la fin du cumul des mandats ?
Pire, alors que les lycées s’embrasent dangereusement, avec en fond d’écran l’image ravageuse d’une jeunesse humiliée, le genou à terre, la triple question de la réforme du bac, de la sélection à l’université, aux entrées en licence et en master, et de l’augmentation des droits d’inscription, en commençant par les étudiants étrangers, est de nature à mettre la jeunesse dans la rue, rouge de colère et d’inquiétude pour son avenir.
Passer à l’orange ?
Sans préjuger des échéances électorales à venir, européennes puis municipales, un second souffle sera nécessaire à trouver pour réconcilier territoires et « positions sociales » telles que définies par Pierre Rosanvallon, l’expérimentateur du « parlement des invisibles ». Et quitte à passer à l’orange, certes couleur Hollande, pour sortir de cette guerre civile larvée, un Béarnais à Matignon pourrait incarner ce tournant, cette volonté d’écoute des « paroles d’en-bas » provinciales – « en région » comme disent les médias parisiens – de recentrage social et de réconciliation nationale.
P.A