Il l’avait dit, il ne toucherait à rien. Souvenons-nous, c’était lors de la précédente rentrée ; Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, s’exprimait ainsi : « Il n’est pas question de modifier la Loi et les textes des programmes brusquement ». Il précisait toutefois : « Mais cela ne veut pas dire que les programmes ne doivent pas évoluer ».
Par Jean-Pierre Delpuech
C’est bien l’art et la manière de celui à qui notre jeune président philosophe a confié la mission délicate et impérieuse de veiller sur l’éducation de la jeunesse française.
Jean-Michel Blanquer agit, ce parfait connaisseur – il fut deux fois recteur – des rouages de la noble administration qu’est l’Éducation nationale avance à pas mesurés, contourne parfois, circonvolutionne diront ses détracteurs, évite les affrontements directs – ici fortement idéologiques – et use adroitement de modifications par circulaires (1).
Le temps des « ajustements »
Ainsi, le ministre a missionné fin janvier 2018 le Conseil supérieur des programmes pour une réflexion sur les programmes. Le CSP a rendu mi-juillet ses « ajustements ». La terminologie employée illustre parfaitement la méthode Blanquer.
Le 21 juillet paraissaient au Journal Officiel les modifications apportées aux programmes de 2016. Ces modifications nommées ajustements et clarifications viennent d’entrer en vigueur. Elles concernent le français, les maths, et l’Enseignement morale et civique pour les cycles 2 à 4 (B.O. du 26 juillet). Quelles sont-elles ?
C’est en français que les changements sont les plus importants. La préconisation de la méthode syllabique pour l’apprentissage de la lecture est soulignée, le recours quotidien à la dictée est rappelé, l’étude de cinq à dix œuvres complètes chaque année est encouragée. Pour la grammaire, la fumeuse notion de « prédicat », tant décriée, disparaît pour le plus grand soulagement des professeurs. C’est le retour des compléments d’objets directs et indirects (COD et COI) et circonstanciels. Enfin, l’enseignement de l’ensemble de la conjugaison du passé simple en CE2, CM1 et CM2 est également rétabli. En ce qui concerne mathématiques, le pays de Descartes pourra se féliciter d’une familiarisation avec les quatre opérations de calcul qui débutera dès le CP. Intéressons-nous enfin à l’Enseignement moral et civique (EMC) ; son contenu n’est pas modifié mais la philosophie générale de cet enseignement évolue vers une série de notions à maîtriser selon une progression définie. La nouvelle présidente du CSP, la philosophe Souâd Ayada, a souligné ce point : « Si l’on veut conduire cet enseignement, il faut déterminer clairement ses contenus ».
Le drapeau et la Marseillaise
De quoi s’agit-il plus précisément ? Les instructions officielles disposent que l’Enseignement moral et civique poursuit trois finalités : respecter autrui, acquérir et partager les valeurs de la République (ces valeurs fondent le pacte républicain et sont garantes de la cohésion nationale), construire une culture civique. Cet enseignement donne lieu à des traces écrites ainsi qu’à une évaluation à partir de l’analyse de situations concrètes (2).
Dans le cadre de cet enseignement, les élèves du cycle 2 (du CP au CE2) vont effectivement, entre autres thématiques abordées – elles sont nombreuses – , devoir connaître les valeurs, les principes et les symboles de la République française : le drapeau, l’hymne national, la fête nationale, la devise. Ils devront aborder la laïcité comme liberté de croire ou de ne pas croire. Leurs maîtres – dans la réalité majoritairement des maîtresses – sont invités, avec raison, à les faire participer à des journées mémorielles. De la même manière, les élèves du cycle 3 (du CM1 à la classe de 6e) devront connaître les valeurs, les principes et les symboles de la République française, de l’Union européenne et des sociétés démocratiques. Les textes officiels précisent que les « valeurs, principes et symboles de la République française sont enseignés tout au long du cycle : les élèves doivent aborder régulièrement ces notions afin d’accéder à une connaissance des cadres d’une société démocratique, aux fondements de la Ve République et de l’Union européenne ». Cet enseignement repose bien sûr sur d’autres études, citons sans être exhaustifs, l’explication de la fraternité dans la devise républicaine comme idéal de cohésion sociale, la connaissance de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; la Convention européenne des droits de l’homme ; la Convention internationale des droits de l’enfant… Les élèves du cycle 4 (de la 5e à la 3e) devront à nouveau se pencher sur ces questions, et on l’espère connaître les symboles et la symbolique de la République française et de l’Union européenne. Jusqu’à la troisième ils étudieront à nouveau, entre autres sujets, le drapeau, l’hymne national, la fête nationale, l’hymne européen, la journée du 9 mai… (3).
Deschamps et Pogba ne peuvent tout faire…
Ces « ajustements » des programmes scolaires pour les élèves du CP à la troisième n’ont pas manqué de faire débat. Des membres du CSP dans une tribune parue cet été s’indignaient que la présidente du CSP n’ait retenu que la demande de faire apprendre aux enfants la Marseillaise, allant même jusqu’à préciser que « Cette insistance traduit bien une profonde incompréhension de ce que peut et doit être la formation civique et morale de nos enfants au XXIe siècle et l’indigence de ce nouveau projet de programme ». La charge est lourde, est-elle justifiée (4) ?
Parlons ballon pour aller droit au but. La Coupe du monde de football nous a offert un spectacle sportif magnifique. Les joueurs de notre équipe nationale portaient fièrement ce maillot tricolore et c’est avec joie que beaucoup de Français les ont entendus chanter l’hymne national. Ne soyons pas dupes, la FFF, l’entraîneur, le staff, sans doute l’Élysée, les y ont invités. Mais, de Iekaterinbourg jusqu’au marches du palais présidentiel, ils l’ont chantée, avec vigueur, avec cœur. Ces joueurs nous ont également parlé de Nation, rappelant que Marianne aime tous ses enfants.
Pogba, Mbappé, le malchanceux Giroud mais bien inspiré en cette journée du 15 juillet, offrent d’excellents modèles civiques à notre jeunesse. Mais une Marseillaise, cela ne s’apprend pas tous les quatre ans ! Un constat s’impose, beaucoup de collégiens ne la connaissent toujours pas en fin de 3ème! Trop nombreux sont ceux qui ignorent tout des symboles de notre République. Et, oui le ministre de l’Éducation nationale a pleinement raison de faire apprendre sur plusieurs années d’études et d’approfondissement les « valeurs, principes et symboles de la République française » ! Oui, notre jeunesse doit s’approprier ce drapeau si riche d’histoire et d’ambitions. Oui, notre jeunesse doit faire siennes les valeurs et principes de la République, et prendre la mesure que la France a toujours été la Lumière des peuples, le phare des nations.
« Respecter autrui »
Chaque changement de programme rend nécessaire des modifications profondes des cours, des progressions, de la programmation. Ce travail de réflexion et de mise en œuvre entraîne une importante charge de travail supplémentaire pour réorienter et réorganiser les apprentissages en fonction de ce que l’institution scolaire demande. Les enseignants ne contestent pas ces changements en profondeur ; ils expriment juste le bien compréhensible souhait que ceux-ci n’interviennent pas chaque année (4).
J’entends déjà les critiques contre ces « enseignants payés à ne rien faire et qui se plaignent tout le temps ». J’invite ces personnes à venir faire classe pendant une seule petite semaine dans une classe de 4e, et cela même pas en REP ou REP + sensible ; nous en reparlerons ensuite. Je les invite également à considérer ce que pourrait être leur rémunération (prenons l’exemple d’un prof du secondaire titulaire d’un Bac + 5 à l’avant dernier échelon de sa carrière) après un quart de siècle de bons et loyaux services : 2.359,12 euros nets par mois !
L’éducation des enfants en France est un devoir de l’État. Ce principe est affirmé dans la Constitution de notre République. Le dévouement de l’immense majorité du corps professoral est indéniable. Ce devoir de l’État doit s’accompagner d’un devoir d’une juste rémunération et de la prise en compte du temps nécessaire à l’élaboration de nouveaux programmes. Cette reconnaissance financière ne peut reposer sur des heures supplémentaires imposées pour palier des suppressions de postes et destinées à « augmenter le pouvoir d’achat des professeurs ».
Voilà bien un sujet qui mériterait aussi quelques « ajustements et clarifications ».
Jean-Pierre Delpuech
(1) On pourra lire avec profit les pages très éclairantes que François Bayrou consacre à cette question dans Résolution française, Éditions de l’Observatoire, 2017, pp. 203-219.
(2) « Trace écrite ». Le jargon des pédagogistes est encore présent dans le discours officiel. Il s’agit plus simplement du résumé écrit par les élèves…
(3) Les auteurs de cette diatribe sont : Guillaume Duval, Marie-Aleth Grard et Denis Page.
(5) Voir ma précédente tribune dans ces colonnes : http://www.magcentre.fr/161007-la-rentree-le-numerique-nos-enfants-et-nous/