Par Jean-Pierre Delpuech
Professeur d’Histoire-Géographie, directeur éditorial des Éditions Infimes.
Il s’intéresse en particulier aux questions de mémoire et de patrimoine.
C’est un joli nom Camarade
C’est un joli nom tu sais
Qui marie cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai
(…)
Que venez-vous faire Camarade
Que venez-vous faire ici
Ce fut à cinq heures dans Prague
Que le mois d’août s’obscurcit
(…).
Jean Ferrat, Camarade, 1969.
Comme à l’accoutumée, Jean Ferrat sut trouver les notes, les mots pour dire son effarement devant l’écrasement du Printemps de Prague en août 1968. Lui, le petit enfant juif qui en 1942 n’avait eu la vie sauve que grâce à l’aide de militants communistes prenait ses distances avec le pays frère.
Été 2018, la République tchèque et la Slovaquie ont commémoré ce triste anniversaire. Le 50ème anniversaire de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie, survenue dans la nuit du 20 au 21 août 1968. Prague, Bratislava se sont souvenus des tanks, des camions remplis de soldats en armes, de la fin d’une espérance, celle d’un peuple aspirant à vivre dans une société plus ouverte, plus libre, plus démocratique. Par cette intervention militaire, l’URSS de Léonid Brejnev sonnait le glas des espoirs de réforme dans les pays du bloc de l’est, pour vingt ans.
« Dubček ! Svoboda ! » *1
En janvier 1968, Alexander Dubček était devenu le nouveau premier secrétaire du Parti communiste de Tchécoslovaquie. Avec d’autres réformateurs, le nouveau chef de la République socialiste tchécoslovaque chercha à libéraliser le gouvernement, à créer un socialisme à visage humain, avec par exemple une plus grande liberté d’expression. C’est cette période de libéralisation politique et culturelle que l’on appelle communément le Printemps de Prague.
Les communistes conservateurs de Tchécoslovaquie, les dirigeants des autres pays du Pacte de Varsovie et surtout les dirigeants soviétiques virent d’un très mauvais œil cette démocratisation du système politique et craignaient une contagion qui risquait de s’étendre aussi à d’autres pays du camp socialiste.
Dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les armées du pacte de Varsovie envahirent la Tchécoslovaquie.
Une défense civile exemplaire
Très tôt Dubček pressa la population de ne pas résister par les armes ; la résistance passive de la population tchécoslovaque fait toujours figure d’exemple. Elle prit parfois une tournure humoristique comme les Tchèques en ont le secret ; ainsi la jeunesse entonnait-elle devant les tanks cette chanson composée dans les jours qui suivirent l’invasion et dont les paroles du premier couplet disaient : « Běž domů, Ivane, čeká tě Nataša! » – « Rentre chez toi, Ivan, Natasha t’attend ! »
Tchèques et Slovaques auront dû attendre jusqu’en 1991 pour que les quelques 70 000 soldats soviétiques stationnés dans leur pays depuis 1968 le quittent enfin.
Jan Palach
Bien plus tragique fut l’acte de résistance du jeune étudiant de l’université Charles de Prague, Jan Palach, qui le 16 janvier 1969, cinq mois après le début de l’occupation de la Tchécoslovaquie s’immolait par le feu en haut de la place Venceslas, à Prague. Nul doute que son sacrifice sera honoré dans quelques mois par toute une nation réunie dans son souvenir et sa mémoire.
L’histoire en direct
Cette invasion a été très largement photographiée par la population et les images majoritairement en noir et blanc ont fait le tour du monde. Récemment, une exposition de la galerie de l’Hôtel de ville de la Vieille-Ville à Prague a proposé le regard de photographes tchèques sur l’événement*2. Tragique et émouvant.
« Nezabudnime » – « N’oublions pas ».
Jean-Pierre Delpuech.
Notes :
*1 « Dubček! Liberté » était le slogan des étudiants lors des manifestations de cette époque.
*2 Cette exposition intitulée « Sovetska Invaze » (Invasion Soviétique) s’est tenue jusqu’au 30 août 2018 à la galerie de l’Hôtel de ville de la Vieille-Ville à Prague. Les photos illustrant cet article en sont issues.