Gérard Hocmard notre chroniqueur, sera en signature à la Librairie Nouvelle, mercredi prochain pour son ouvrage sur Henri VIII. Il nous avait parlé de son livre en juillet.
Ce n’est pas un banal roi d’Angleterre que cet Henri VIII légendaire. Ce géant aux six épouses jouit d’une réputation sulfureuse de Gargantua à l’accent british. Qui mieux que Gérard Hocmard, l’un des meilleurs connaisseurs français de notre voisine d’Outre-Manche pouvait aussi bien décortiquer les ressorts caché, ou non, de ce souverain qui fut d’une certaine façon à l’origine du Brexit. Interview.

Gérard Hocmard, Henri VIII dit « Barbe Bleue » fut un roi rabelaisien, colérique, cruel avec ses femmes notamment. Ce sont ces quelques traits hors normes du personnage qui vous ont séduit ou bien sa culture, l’égal d’un François 1e,r aurait-on dit à l’époque ?

Gérard Hocmard
Le caractère effectivement hors-norme du personnage m’intéressait, de même que le tournant pris par l’Angleterre sous son règne. Mais je me méfie toujours un peu des clichés. J’avais aussi l’impression que les historiens britanniques n’en avaient pas la même image que les français. J’ai voulu creuser un peu et me suis aperçu que le succès de la série des Tudors à la télévision avant suscité une nouvelle vague d’études. J’ai trouvé matière à réfléchir. En fait, Henri VIII m’est apparu beaucoup plus complexe qu’on le dit habituellement. Cruel, certes, surtout sur la fin, et sensuel, mais prude aussi, voire rigoriste. Très enfant gâté, velléitaire, habitué à ce que rien ne lui résiste, mais manipulable pour peu qu’on sache s’y prendre, comme on l’a vu avec ce que Thomas Cromwell a pu lui faire gober à propos d’Anne Boleyn. Relativement pleutre aussi et en même temps souffrant stoïquement le martyre dans la seconde moitié de sa vie en raison d’ulcères variqueux. Pour ce qui est de sa culture, elle était encyclopédique. Je pense que si François Ier a pu le battre à la lutte, Henry aurait gagné à Questions pour un champion.
Son obsession était d’avoir un héritier, que sa première femme Catherine d’Aragon n’a pas su lui donner. Est-ce que cette quête délirante se fit au détriment d’un pays qui était sortie exsangue de la Guerre de Cent Ans ?
La pauvre Catherine d’Aragon a fait ce qu’elle a pu. Elle a quand même eu six grossesses, dont quatre terminées en fausses couches et n’a pu lui donner qu’une fille, la future Marie Tudor, « bloody Mary ». Sa seconde épouse, Anne Boleyn, a eu quatre grossesses, dont trois fausses couches, lui laissant une fille, Élisabeth. La troisième, Jane Seymour, lui a bien donné un fils, mais elle est morte des suites de couche. Aucune des suivantes ne lui a donné d’héritier, alors que la dernière, Catherine Parr, avait eu deux enfants d’un premier mariage et en a encore eu un de son remariage après la mort d‘Henri. Ce qui amène quand même à se poser la question de la qualité de son fluide à lui, d’autant qu’on ne lui connaît qu’un bâtard, reconnu, là où François Ier et Charles Quint en ont eu en nombre.
Mais on ne peut pas dire que cette quête d’héritier se soit faite au détriment du pays. Henri a certes assez vite dilapidé les richesses accumulées par son père Henri VII, qui lui avait laissé un royaume prospère et en paix. Sa tentative pour se faire élire à la tête du Saint Empire, puis sa rivalité avec François Ier, ses goûts de luxe, l’ont amené à devoir trouver des ressources, par la confiscation des biens des congrégations monastiques ou par l’impôt forcé, ce qui a conduit à des rébellions réprimées dans le sang, mais sa quête d’héritier n’a rien à voir avec cela.
Il faut d’ailleurs comprendre son obsession. La dynastie Tudor était une jeune dynastie, à la légitimité précaire, qui s’était imposée au sortir de cinquante ans de l’atroce guerre civile opposant deux branches des Plantagenêt, les Lancaster et les York. Il existait encore dans le royaume des chefs de famille à la légitimité plus solide et si Henri était mort, par exemple lors de son premier accident, l’héritier du trône aurait été une petite fille aussitôt contestée, avec possible reprise de la guerre civile.
La France, l’Europe continentale ont-elles connu des rois aussi hauts en couleur… ?
François I n’était pas mal dans le genre, en faste et en goût artistique les ducs de Bourgogne « en jetaient », des papes comme Alexandre VI Borgia ou Jules II n’étaient pas des personnages falots. Ce qui a fasciné l’époque d’Henri VIII et lui vaut sa réputation de Barbe Bleue sont ses six mariages. Mais cela tient paradoxalement quelque part à son rigorisme. Il n’entendait pas avoir d’enfant illégitime. Il a donc épousé, épousé. En fait, sur ce plan, il n’a pas eu de chance. S’il y a en lui quelque chose de rabelaisien, ce serait son appétit. On a calculé d’après les livres de dépense de la table royale qu’il ingurgitait quelque 5 000 calories par jour. D’où l’embonpoint de sumo qui causa ses problèmes de circulation et obligea sur la fin à le hisser sur son cheval (pauvre bête !) au moyen d‘un palan.
Vous décrivez dans votre ouvrage des anecdotes savoureuses. Faites-vous quelques révélations inédites… ?
Je ne fais pas de révélations totalement inédites à proprement parler, mais j’ai exploité quelques pistes récemment défrichées par des médecins américains qi se sont penché sur le dossier médical d’Henri VIII. Ils ont mis en lumière un événement connu, mais jusque là seulement interprété à travers ses circonstances et ses effets : l’accident de joute de janvier 1536 qui l’avait laissé commotionné. Le récit du déroulement de l’accident, des constatations de l’entourage les ont conduits à avancer l’idée que le lobe frontal avait été gravement atteint, ce qui expliquerait la changement de personnalité attesté par les contemporains par la perte d’empathie et d’ouverture aux autres que le choc aurait provoqué et je me suis appuyé sur cette découverte pour expliquer les foucades et cruautés de la dernière partie du règne.
Que reste –t-il de nos jours en Angleterre de ce règne d’Henri VIII ? il n’est tout de même pas le responsable initial du Brexit ? La « dissidence » religieuse de l’Angleterre par rapport à l’Europe latine, germanique et centrale, catholique en est-elle un peu responsable ?
On pourrait presque dire que ce qui reste du règne d’Henri VIII est l’Angleterre actuelle. Son règne représente en tout cas un tournant décisif. C’est le début de la montée en puissance de ce qui était jusqu’alors un petit royaume aux franges de l’Europe occidentale. De son règne date légalement la montée en puissance, au moins symbolique, du Parlement. Surtout, la rupture avec Rome sans pour autant trouver de terrain d’entente avec les ligues protestantes allemandes et scandinaves préfigure sur un plan religieux le « splendide isolement » ultérieur et représente même une sorte de premier « Brexit », de premier éloignement des communautés idéologiques européennes. Le « Parlement de la réforme » a dû, en son temps, détricoter tout un tas de dispositions qui rattachaient depuis le haut Moyen-Âge l’Angleterre à l’Église catholique romaine. Il est amusant de constater que la procédure parlementaire utilisée pour ce faire à l’époque a été remise en œuvre pour expurger la législation britannique des dispositions européennes qui y avaient pris place en quarante-cinq ans, comme n’ont pas manqué de le faire remarquer un certain nombre d’éditorialistes d’outre-Manche.
Propos recueillis par Ch.B.
Henri VIII par Gérard Hocmard, aux éditions Ellipses (www.editions-ellipses.fr). L’auteur signera son ouvrage à la Librairie Nouvelle à Orléans le mercredi 19 septembre à 18h45.
– Gérard Hocmard, ancien enseignant à Orléans, est agrégé d’Anglais, et entre autre, délégué général de l’association France-Grande-Bretagne.
Il est aussi l’auteur (chez le même éditeur) When & Where – Dictionnaire historique du monde anglophone, shakespeare, Roméo et Juliette Who knows. Guide culturel du monde anglophone shakespeare, Roméo et Juliette Who knows. Guide culturel du monde anglophone