L’effet Coupe du Monde (retour amer sur 98)

La propagande actuelle et la mobilisation footballistique  autour de l’équipe de France dès le tour éliminatoire de la Coupe du monde conduit le CACS à demander à tous les citoyens de réfléchir sur le sport qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas (ce n’est pas le propos).    Des millions de téléspectateurs, des chefs d’entreprises qui se donnent bonne conscience pour modifier les horaires de leurs salariés afin qu’ils puissent voir  France-Pérou, des discours  en vagues continues sur les prétendues  “valeurs” du football, un matraquage sportif incessant auprès des enfants, est-ce neutre et anodin ? 

Que dit le football sur notre société ? Vous trouverez ci-dessous un article écrit en 2002 à la veille de la Coupe du monde au Japon (quatre ans après le moment historique de 1998 !).

En juillet 1998, au lendemain de la qualification de l’équipe de France pour la finale de la Coupe du monde, Roland Castro écrit : « Le Pen est bien silencieux, la préférence nationale est de toutes les couleurs. C’est l’amorce de son recul dans les têtes et chacun sait que c’est d’abord dans les têtes que ça se joue. A l’occasion de ce qui est devenu un festival de théâtre politique, on assiste en France au premier recul de l’extrême droite »1.

Roland Castro.@wikipedia

Après l’hystérie collective du 12 juillet, la presse dans son ensemble et un grand nombre d’intellectuels saluent sans mesure la victoire de l’équipe black-blanc-beur, l’intégration réussie et la nation reconciliée. « Le Mondial est peut-être le premier remède efficace contre la lepénite » lance Guy Konopnicki2. Selon Jean Daniel c’est Aimé Jacquet qui a dressé le bilan le plus saisissant de la Coupe du monde : « Je suis fier que l’épopée de l’équipe de France constitue une victoire sur les funestes idées xénophobes du Front National ». De Pascal Boniface, spécialiste de géopolitique, voyant dans la victoire des Bleus des « effets positifs sur le rang de notre pays dans le monde » et « l’image d’une intégration réussie, d’une cohésion interne » à Georges Vigarello, sociologue et historien, notant que nos joueurs, « porte-drapeau d’une France plurielle font davantage pour l’intégration que dix ou quinze ans de politique volontariste »3, l’aveuglement est total.

Rompre le consensus était sacrilège

En proposant en ce mois de juillet 1998, un article au titre évocateur, « La fête est finie,  l’ordre règne », je faisais ce qu’Edgar Morin, dans un article délirant, nous reprochait de ne pas faire : « Les intellectuels abstraits vont à nouveau démystifier le football, le Mondial, le patriotisme vécu, le bonheur. Comme toujours ils mépriseront plutôt que de comprendre ». Le sociologue avait vu dans la soirée du 12 juillet une « extase historique »4 là où je voyais une « fête dégradée symptôme d’un pays qui va mal ». Rompre le consensus était sacrilège. Dire que l’insistance avec laquelle on parlait du métissage de l’équipe était plus inquiétante que rassurante, semblait indigne malgré la force de notre argumentation. Le mépris du peuple était de leur côté, mais seule leur parole était médiatisée. Notre rôle n’est pas d’admirer mais d’armer. Nous fûmes relégués au silence et traités « d’intellos ». Loin du peuple bien sûr, comme si être lucide ce n’était pas défendre le peuple.

Aucune discussion n’est permise

Quatre ans plus tard, le bilan est lourd. L’extrême droite pèse encore entre 15 et 20 % de l’électorat, Le Pen est au second tour de l’élection présidentielle, l’intégration n’est pas réussie, les inégalités se sont accrues, la nation n’est pas réconciliée. Le sport continue à véhiculer un certain nombre de valeurs (le culte du chef, l’idéal de pureté, la négation de la lutte des classes, l’anti-intellectualisme, l’obsession de la décadence, le goût prononcé pour le rituel et les parades militaires, l’exploitation du sentiment religieux des masses, l’exacerbation de l’individualisme et du mérite personnel, le racisme, le sexisme, le recours à l’irrationnel) sur lesquelles – là non plus – aucune discussion sérieuse n’est permise.

Dans quelques semaines, la Coupe du monde aura lieu au Japon et en Corée. Une nouvelle victoire de l’équipe de France ferait retomber une grande partie de la population en pleine communion magique. On feindra de croire une fois de plus qu’on va résoudre par le sport ce qu’on ne veut pas résoudre par la politique et le social. Pendant ce temps-là, Le Pen se taira. Comme l’écrivait justement Charlie Hebdo en 1998 : « Pourquoi Le Pen ne parle pas pendant le Mondial. Parce que le Mundial parle pour lui ». On ne peut pas mieux dire.

Michel Caillat
Auteur de  »Sport : l’imposture absolue », Editions Le Cavalier Bleu , 2014
et d’Idées reçues sur le sport, Editions Le Cavalier Bleu, mai 2002 réédité en 2008).

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(1) Libération, 10 juillet 1998.
(2) L’Evénement du Jeudi, 16 juillet 1998.
(3) Le Nouvel Observateur, 16 juillet 1998.
(4) Libération, 20 juillet 1998
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  • Les intertitres sont de la rédaction.

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