Organisé par LREM (La République en Marche) le débat « Cœur de Blois : quel centre-ville voulons-nous ? » a rassemblé une cinquantaine de personnes mercredi 30 mai à la ferme de Brisebarre. Au cours de cette soirée-débat marathon (près de 4 heures !), en présence d’Olivier Ramezon auteur de Comment la France a tué ses villes ?, deux tables rondes ont mis sur le tapis l’épineux sujet de l’avenir des centres-villes. Le constat est sans appel : pour sortir du marasme, il faudra de l’audace, et pas seulement l’obsession de la redynamisation commerciale…
L’emplacement, au chevet de l’église Saint-Vincent, du futur centre commercial.
« La ville, ça n’est pas seulement le commerce. C’est un problème plus large. On ne peut pas refaire la ville sans ses habitants ». À lui seul, le journaliste indépendant et blogueur du Monde Olivier Ramezon (1) pourrait résumer les quatre heures du débat organisé par LREM Blois-agglo mercredi 30 mai dernier dans la bucolique ferme de Brisebarre. Dans le public, des sympathisants de LREM bien sûr, mais aussi des commerçants blésois, soucieux de leur avenir et combien plus de leur présent ; des élus ; des acteurs économiques des chambres consulaires ; des curieux ; des « lanceurs d’alerte » et autres pétitionnaires compulsifs ; d’ostensibles « espions » pour le compte du maire de Blois aussi. Tout cet aréopage hétéroclite avait cependant un point commun : la passion pour le « cœur de Blois », ce centre-ville dont on peine à savoir s’il va continuer de battre à l’avenir tant il semble au bord de l’infarctus.
“Je ne crois pas à ce projet”
Deux tables rondes ont animé la soirée : la première se penchait sur le modèle économique attractif et durable des commerces, de l’artisanat et du tourisme. Yvan Saumet (président de la CCI), Sophie Georgin, commerçante en maroquinerie récemment installée rue Porte-Chartraine, Jean-Paul Ciret (ex directeur de la communication du ministère de la Culture) et adjoint au maire de Nanterre, le libraire Olivier Labbé et Louis Buteau, ex-adjoint au commerce et à l’artisanat qui s’est vu retirer sa délégation récemment. C’est probablement ce dernier qui a lancé le plus beau pavé dans la mare, et il est dommage que les « espions » de la majorité municipale – des personnes proches de l’exécutif et aux idées bien arrêtées – ne soient pas restés jusque là pour en entendre le bruit. « Ce n’est pas le commerce qui fait la ville, c’est la ville qui fait le commerce », a-t-il commencé, avant d’ajouter désormais au grand jour ses doutes au sujet du projet « carré Saint-Vincent », cette extension des commerces de centre-ville de 25 cellules commerciales au chevet de l’église Saint-Vincent, à 150 mètres des loges du château royal. « Y a-t-il un marché ? » s’interroge-t-il ? « Il y a une demande des consommateurs de trouver des produits qui n’existent pas à Blois. Il y a une demande d’enseignes qui souhaiteraient venir ici mais qui ne trouvent pas le foncier. Mais est-ce le bon endroit ? Il y avait trois possibilités : autour de l’ancienne halle Louis XII, autour de l’ex Eurodif, historiquement un endroit très commerçant, et le chevet Saint-Vincent. L’arbitrage du maire de Blois a été de dire : ça sera à Saint-Vincent, point ». Régulièrement contesté, le projet Saint-Vincent patine et, malgré les efforts du maire et de sa garde rapprochée. Voire un certain entêtement subtilement maquillé par une « conférence citoyenne », chargée récemment de punaiser sur une carte l’emplacement futur des bancs, des poubelles et du stationnement des vélos : « on se fout du monde, on endort le bon peuple ! », s’est emporté le président de la CCI Yvan Saumet, qui, sortant de ses gonds face à une ardente citoyenne défenseure des arbres du square Augustin-Thierry déclaré : « je peux tout à fait vous dire que personnellement je ne crois pas à ce projet ».
Favoriser les lieux culturels
La rue Denis-Papin, récemment rénovée.
« Est-ce qu’il n’a pas plus de faiblesses que de forces ? » s’interroge encore Louis Buteau. « Il est présenté comme une continuité du centre-ville, ce n’est pas vrai, il y a des obstacles : la rue Gallois, le square, l’église, la Poste ». Enfin, derniers doutes partagés par beaucoup, la viabilité financière du projet. « On n’est pas en mesure de dire : Saint-Vincent, ça va coûter ça. Combien ça va réellement coûter à la ville ? Et la fraction des 5 milliards d’euros lâchés par le gouvernement pour la revitalisation des centres-villes n’y suffira pas. Que fera-t-on quand les locataires viendront se plaindre auprès du promoteur que les loyers sont trop chers ? ». Imparables, les chiffres donnent raison aux détracteurs et méfiants de tous bords : sur 80 projets similaires en France, à peine cinq sont viables, tous les autres sont des échecs.
L’ex directeur du développement culturel du Centre des Monuments nationaux (2), Jean-Paul Ciret tente une piste de réflexion au sujet de cette obsession commerciale : « On reste trop sur la conservation d’un tissu commercial préexistant au développement touristique. Les commerces qui entourent les lieux patrimoniaux doivent évoluer. Pour cela on doit favoriser les lieux culturels, car si la culture ne crée pas d’emplois en soi, elle permet la création d’emplois ».
“Blois souffre d’un problème d’accessibilité”
Le château royal de Blois.
La seconde table ronde concernant l’habitat, les services et la culture a permis de rêver un peu, grâce à une figure que les Blésois ont bien connu pendant plus de 20 ans à la tête du CAUE (Conseil architecture urbanisme environnement) Emmanuel Brochard. L’architecte urbaniste invite à se projeter résolument dans l’avenir, un très proche avenir où la France comptera des millions de séniors qui vont bouleverser la vie quotidienne, les demandes en matière d’habitat, de déplacement etc. « Il ne faut pas trop spécialiser les centres-villes. Se focaliser uniquement sur le commerce c’est une erreur. La ville c’est le commerce, l’habitat, les bureaux etc. Le centre-ville de Blois souffre d’un problème d’accessibilité ! Qu’est-ce que c’est que cette ville où on ne peut pas passer d’un étage à l’autre ? Qu’on fasse des escaliers roulants, des ascenseurs, qu’on ne vienne pas me dire que c’est incompatible avec le patrimoine ! Autre chose : cette ville n’est pas assez tournée vers la Loire. Toutes les villes modernes sont ouvertes sur leur fleuve. Quelle modernité prépare-t-on ? Il y a de grandes questions énergétiques, de complexité urbaine : comment va-t-on faire quand il y aura 5 millions de retraités ? Les villes moyennes ont des atouts formidables. Il faut 6 hectares de cultures en maraîchage pour alimenter les cantines dans une ville moyenne, si vous le faites en bio en plus, vous imaginez le message ? Mais pour tout cela, il faut un projet socioculturel ». Pas seulement commercial, serait-on tenté d’ajouter.
C’est un fait : tous les éléments d’un futur programme électoral en vue des municipales à Blois se mettent progressivement en place pour LREM qui, si elle n’a pas encore de candidat pressenti ni déclaré fait monter pression sur l’actuelle majorité municipale qui a très à cœur la question du devenir du centre-ville. L’arrivée prochaine de la nouvelle référente départementale LREM Ismérie Giron dans le Blaisois, et la liberté de parole désormais pleine et entière de l’ex adjoint au commerce Louis Buteau, ajoutées aux diverses rencontres en privé d’élus, font que les grandes manœuvres pour mars 2020 ont déjà commencé. Alors que le premier coup de pioche du fameux « carré Saint-Vincent » se fait, lui, toujours attendre…
F.Sabourin
(1) Auteur de : Comment la France a tué ses villes ? aux éditions Rue de l’Échiquier.
(2) Qui anime plus de 100 monuments dont les châteaux d’Azay-le-Rideau, Talcy et Fougères-sur-Bièvre.