Olivier Carré n’a pas raté son coup johannique comme en 2017. Il y a un an, son plan B, un certain Jean-Louis Borloo l’avait lâché en dernière minute, après que son plan A, Tony Blair, eût foiré l’entente cordiale consistant à venir faire pénitence dans une ville française qui vit une pucelle filer à ses ancêtres une sacrée déculottée. En décrochant le Premier ministre soi-même pour présider les fêtes du 8 mai le président de la métropole s’offre un nouveau symbole consensuel. Après Macron en 2016, le numéro deux de l’exécutif, Edouard Philippe : du très lourd en terme politique.
Déjà pour le tandem qui dirige la France depuis un an, l’exercice du défilé johannique et du discours qui le précède, toujours perlé de symboliques, les fêtes du 8 mai à Orléans sont pain béni. Passons vite sur la thématique du rassemblement, de l’union nationale, qui ont toujours eu cours à Orléans. A l’inverse des diatribes de repli identitaire qui guidait depuis des années les fêtes de Jeanne d’Arc façon Front national le 1er mai à Paris. En 2018, Marine Le Pen délaissera Jeanne d’Arc pour aller retrouver ses amis identitaires européen à Nice. laissant le « vieux » bredouiller seul avec ses grognards, devant la statue dorée de la place des Pyramides.
Jeanne métissée
© Marie-Line Bonneau
Alors les insultes proférées sur internet à l’encontre d’une Jeanne d’Arc métissée sont l’occasion idéale pour le gouvernement d’enfoncer la tête sous l’eau aux vieux couplets de l’extrême droite racistes que même Marine Le Pen a désavoués. Sous les mots des discours officiels du 8 mai, les messages politiques vont faire flores le 8 mai devant la cathédrale Sainte-Croix.
Dans le couple exécutif, à l’ombre d’un Macron qui prenait toute la lumière depuis un ans, Edouard Philippe semblait à la ramasse médiatique. Aujourd’hui, si le Président continue de jouer les premiers de cordée, le Premier ministre n’est plus seulement, avec sa gueule de techno, un exécutant, un « collaborateur » aurait-on dit en d’autres temps. Alors que les ministres, souvent des « techniciens » paraissent eux assez lisses politiquement, chargés qu’ils sont de faire gober des réformes costaudes, Collomb la loi asile-immigration, Buzyn le chantier ingrat de la santé et Borne de faire passer le train de réformes SNCF, Edouard Philippe a acquis lui la légitimité de numéro 2. Dans les sondages, l’ancien maire du Havre est à peu près à égalité (à environ 45% de satisfaits et un bond de douze points dans l’électorat de droite), avec son Président.
Macron navigant de States en Nouvelle-Calédonie en passant par l’Australie, sans compter les sauts de puce en Europe, il faut bien que quelqu’un tienne la boutique dans l’hexagone. Devenu numéro 2 affirmé du régime, Edouard Philippe a, en outre, cet avantage considérable sur ses prédécesseurs qu’il ne guigne en rien la place de calife à la place du calife.
Coutumier de la région
En outre le Premier ministre a cet atout, alors que Laurent Wauquiez insiste lourdement sur l’opposition rurale-métropole et campagne-technocratie parisienne, d’avoir été maire du Havre. Il aurait été de Rouen, là où Jeanne d’Arc est passée de garçon manqué à femme au foyer, que l’invitation à Orléans eut été un peu plus délicate…
Edouard Philippe et Matthieu Schlesinger, le maire d’Olivet (Loiret).
Ancien membre du bureau de l’AMF (Association des Maires de France), Edouard Philippe passe bien en région lorsqu’il décentralise Matignon, comme il l’avait fait en décembre à Cahors avec une vingtaine de ministres. A partir de mercredi, entouré de ses conseillers, il descend en Berry, pour trois jours, de la magnifique abbaye de Noirlac jusqu’à Vierzon, administrée par les communistes. Si ça continue, le Premier ministre va devoir prendre un pied à terre en région Centre-Val de Loire puisque mardi mardi 8, après l’agriculture, le tourisme, l’ aménagement du territoire, la défense, l’industrie, traité en Berry, il redescendra à Orléans pour défendre du « vivre ensemble ». En outre, il connait bien la région pour avoir fait prof de droit à Orléans La Source et avoir passé quelques années avec ses parents à Sancerre (Cher) où son père avait été nommé. Sans parler de son amitié avec Matthieu Schlesinger, le maire d’Olivet, son complice de la campagne de Juppé à la primaire de droite.
La droite et l’esquive du boxeur Philippe
Pour autant, en Berry, on lui promet à gauche un accueil mouvementé, mais là encore le boss donne l’exemple, quand Macron en prend plein la tête par des cheminots ou des retraités, Edouard Philippe, fin boxeur dans le civil, connait l’art de l’esquive, et a une droite bien affûtée.
Emmanuel Macron lors des fêtes de Jeanne d’Arc 2016.
La droite, c’est à cet endroit de l’échiquier politique qu’il est attendu par le maire d’Orléans. Olivier Carré s’en va répétant qu’il est au dessus des partis partisans. En recherche du soutien de LREM pour de lointaines municipales (2020) mais qui sont déjà dans les tuyaux, Oliver Carré, ancien de LR comme Edouard Philippe, laisse dire qu’il est macron-compatible. Depuis 2016 et quelques dîners à l’Elysée (où tous les maires des grandes villes sont conviés les uns après les autres), le président de la métropole affirme à qui veut l’entendre qu’il a l’aval du Président. Voire.
Or Olivier Carré veut ratisser large, des piliers d’une droite forte issue de l’époque Grouard aux macronistes du Centre-gauche, s’il faut parler dans la langue de « l’ancien temps ». Donc avoir avec soi en même temps la jambe centre gauche et la jambe droite, cette dernière symbolisée localement par un Olivier Geffroy (LR) qui fut en d’autre temps au cabinet d’Alain Juppé et qui fait figure aujourd’hui de futur premier adjoint, voire de directeur de campagne d’Olivier Carré, ce serait tout bénéfice pour ce dernier.
A coup sûr, le Premier ministre, grand et un peu raide, à l’humour très british, n’a pas la séduction naturelle et l’empathie facile d’un Macron. Qu’il évite au minimum, le traitement à la limite de la violence qui avait été réservé au dernier Premier ministre président des fêtes, Michel Rocard en 1990, bombardé de projectiles par des partisans du FN, ce serait déjà bien. Un Premier ministre défilant avec une Jeanne d’origine béninoise et polonaise, l’émeute médiatique est à peu près assurée. Quant à l’émeute populaire, Macron était venu en 2016 prendre son premier vrai bain de foule. Edouard Philippe devrait au moins faire trempette avec la population orléanaise.
En 2016, Emmanuel Macron avait rompu avec la tradition qui voulait que le Président élu en mai vînt l’année suivante présider les fêtes. Transgressif au possible Macron s’invita en 2016… l’année d’avant. Ça tombe bien la prochaine Présidentielle n’est qu’en 2022. Puisqu’on vous dit qu’Edouard Philippe ne veut pas aller à l’Elysée…
Ch.B