Seconde partie du billet d’Yves Bodard dont nous avions publié la première partie le 14 avril dernier qui est cette fois consacré à la lutte contre le trafic de stupéfiant.
Derrière ces chiffres destinés à la communication, il faut dénoncer la supercherie d’élus locaux qui officiellement présentent un bilan chiffré et comptable dès le début de leur mandature municipale en 2001 alors que ces mêmes nouveaux élus n’avaient pas encore déballé leur carton. Champions, les gars!
Par Yves Bodard
Le trafic de stupéfiant est un sujet sensible et que je vais aborder de façon très décomplexée. Ma démonstration portera sur la consommation et la vente de Cannabis qui au regard de la loi reste un délit donc un acte délinquant punissable. Lorsque j’étais éducateur de rue, entre 1988 et 1996, la vente et la consommation de cannabis se déroulaient dans la discrétion et dans la sphère privée. Aujourd’hui, partout à Orléans et pas seulement sur les quartiers que l’on diabolise la consommation et la vente de cannabis ,souvent à “la sauvette” a envahi l’espace public créant pour le coup un vrai sentiment d’insécurité. Promenez-vous en ville et au coin de la rue, on vous proposera une boulette de shit.
Le débat que je pose ne portera pas sur la dépénalisation ou non du cannabis. Je ne consomme pas et je ferai don de mon urine pour en attester. En tant qu’éducateur, le rapport à loi reste malgré tout, une façon de se positionner. Chaque consommateur d’héro a d’abord commencé par un joint et je connais la réponse que chaque fumeur de joint ne tombe pas dans le produit qui tue! La vente de cannabis se déroule t-elle dans l’espace public? OUI.
La loi républicaine doit elle passer ou s’en accommoder? Elle fait le choix de s’en accommoder car si l’acte de vendre du cannabis et d’en consommer pour soi est un acte délinquant et retenu comme tel par ceux-là même qui nous agitent des chiffres et des courbes sous le nez, on devrait assister à une multiplication au carré du carré du carré du chiffre de cette délinquance. Si demain à Orléans ou sur le plan national, les élus décidaient comme ils savent le dire lorsqu’ils sont en campagne, à engager une lutte sans merci, sur chaque centimètre du territoire de la république aux vendeurs de Cannabis les désignant comme délinquants, vous imaginez aisément que les tribunaux seraient engorgés. Et le taux d’élucidation, le flagrant délit du petit revendeur de shit viendraient grossir les statistiques! Pendant ce temps-là, les gros dealers, les voyous en col blanc continuent à faire prospérer leur business de la mort! D’ailleurs, qui porte plainte contre cette dernière catégorie de délinquants? Personne. Participent-ils au sentiment d’insécurité qui pourrit le quotidien, envahissent ils l’espace public ?Non et pourtant ils empoisonnent notre existence et nos enfants, non? Qui sont les vrais invisibles?
Le fameux taux d’élucidation
On en arrive au taux d’élucidation dont se targue l’élu préposé à la statistique de la délinquance. Une descente dans des lieux ciblés, des contrôles de police sur la voie publique et le taux d’élucidation frôle parfois le 100%. En renforçant les contrôles sur la clientèle habituelle (on verbalise les petits revendeurs de shit, on verbalise les consommateurs de drogue, les sans papiers, ceux qui mendient…), on fait du chiffre! Mais a t-on pour autant démantelé les réseaux de trafiquants de drogues, les réseaux qui se grattent sur le dos de personnes en situation d’irrégularité, qui exploitent les sans-papiers ou les travailleurs clandestins réduits à l’esclavage?
En définitive, à Orléans comme partout ailleurs, la politique du trop sécuritaire est un fiasco,un échec cuisant et en sacrifiant l’éducation et la prévention sur l’autel du tout sécuritaire, c’est la cohésion sociale, le ciment de notre vivre -ensemble qui s’émiette et que l’on détruit.
Si les “consommateurs de cannabis,les sans-papiers,les bagarreurs à la petite semaine,le menu fretin de la délinquance qui constituent le gros de la clientèle de la police sont surveillés et d’avantage réprimés, la délinquance en col blanc semblent être de moins en moins sanctionnée. On met le projecteur sur les phénomènes les plus visibles et on cultive savamment ce fameux sentiment d’insécurité pour renforcer les attentes d’un électorat manipulé sur l’autel du rejet et de la stigmatisation.
“Il est tellement plus facile de gouverner par la peur”
Pour ma part, j’estime que tous les chiffres et les courbes que l’on continuera à exhiber restent une photographie à un moment donné et la caution d’une politique électoraliste. Moi ce qui m’intéresse c’est qu’un élu arrive à me chiffrer la désespérance humaine, l’accroissement des inégalités, la déliquescence du lien social, la perte de confiance entre ceux qui dirigent et ceux qui vivent le quotidien, le vrai! Qui peut me les donner ces chiffres ?
J’ai d’autres chiffres: Plus d’un sans-abri “recensé” meurt chaque jour dans l’indifférence, la loi DALO, j’ai bien dit la loi républicaine du Droit au logement opposable est inopérante car il manque de logements sociaux. Quel est le taux de chômage de notre jeunesse dont certains sont tellement déqualifiés, cassés, déstructurés qu’ils ne sont inscrits nulle part? Peut on me donner «les effectifs» des travailleurs sociaux et d’éducateur de rue (ceux-là ont disparu, été sacrifiés) dont le nombre a diminué en proportion à l’augmentation des caméras de vidéo-surveillance? A Orléans, les amis de Serge Grouard ont non seulement cautionné la politique de Sarko en son temps mais ils l’ont inspiré en matière de répression.
Le chantier est vaste et si je peux alimenter le débat, être un garde-fou, laissez moi cet espace et ma liberté d’expression. Il parait que la gauche respectable locale dit de moi que je suis incontrôlable et la droite me trouve insupportable, alors je reste un électron libre qui va continuer à s’offusquer d’abord et puis à m’indigner. Merci Stéphane Hessel. A quand un vrai débat contradictoire sur Orléans sur le thème “prévention et rapport à la loi que je préfère à sécuritaire” ?Il est tellement plus facile de gouverner par la peur, le rejet, la stigmatisation, d’invoquer sans cesse le retour à l’ordre que de chercher à inventer la société de demain et imaginer un autre façon de vivre mieux ensemble.”
Yves Bodard