Pour qui avait assisté à quelques réunions de campagne de François Fillon durant la primaire « de la droite et du centre », la question se posait avec insistance : Serge Grouard, l’ancien maire d’Orléans était-il si proche qu’il le clamait sur tous les toits du candidat à la Présidence de la République. Ou bien, l’ancien « collaborateur » et Premier ministre de Nicolas Sarkozy était-il à ce point froid et distant qu’il ne « renvoyait » pas plus que ça l’ascenseur à ceux qui l’avaient porté au pinacle avec sa victoire dans le match contre ses « amis » républicains ?
Fillon-Grouard, en meeting pour les régionales.
Combien de fois l’ancien maire d’Orléans, alors député, avait-il lancé avec la modestie qui le caractérise qu’il travaillait “à sauver la France” en écrivant, rien que ça, le programme de François Fillon? Dans ce cas, comment se faisait-il que dans les réunions au cœur du Centre-Val de Loire, François Fillon, le sérieux, l’exemplaire, le vertueux, ne citât jamais, ou si peu, ses « collaborateurs », ses lieutenants dévoués comme Serge Grouard ?
Une belle “déflagration” pour la droite
Serge Grouard et François Fillon.
Les réponses à ces questions sont dans le livre de Patrick Stéfanini (avec Carole Bajon de l’Obs), « Déflagration ». Patrick Stéfanini, homme de l’ombre qui fut directeur de campagne de François Fillon, jusqu’au fameux meeting du Trocadéro, balance tout -ou presque tout-, sur cette campagne de la droite qui s’est transformée en Bérézina, dès lors que le vrai François Fillon est apparu au grand jour. Et s’est obstiné à aller au bout.
D’emblée, la dédicace de “Déflagration” fournit un indice déterminant : elle est adressée à la famille de Patrick Stéfanini par l’auteur, mais aussi à trois députés battus aux législatives de juin 2017, dont Serge Grouard. Pourtant dans cette confession passionnante que tous les électeurs de droite devraient lire et qui ne cache rien les détestations que se portent ses leaders entre eux, Sarkozy, Juppé, Fillon. Sans parler des seconds couteaux, « Raffarin, Pécresse, Copé et Bertrand » pour ne citer que ceux-là.
Le rôle “essentiel” du député Serge Grouard
Pour autant, il faut atteindre presque le milieu de l’ouvrage pour que Serge Grouard apparaisse dans les équipes rapprochées de l’ancien maire de Sablé-sur-Sarthe, copieusement cités par Stéfanini. Nous sommes en 2015 à une époque où Fillon ne décollait pas dans les sondages et nous apprenons ainsi page 161 que sont ciblés pour mener campagne, « des zones géographiques dans les quelles François Fillon ne dispose pas de relais parlementaire et où les partisans de Nicolas Sarkozy tiennent le haut du pavé. Parmi les élus, Gérard Longuet, Hervé Novelli, Jean-François Lamour… et Serge Grouard et Florence Portelli sont parmi les plus assidus et découvrent ou redécouvrent les charmes de Montargis ou d’autres sous-préfectures. ». C’est Jean-Pierre Door qui appréciera.
Quelques lignes plus loin Stéfanini précise, alors que Serge Grouard répétait à satiété dans la presse locale qu’il écrivait le programme de François Fillon que « c’est François Bouvard qui tient la plume et sa remarquable capacité d’analyse et de travail fait merveille ». Ce manifeste s’intitule, « Osons dire, osons faire ».
Qu’à cela ne tienne, si Serge Grouard n’a pas tenu la plume de Fillon, il a bien fait partie du dispositif et n‘a pas ménagé sa peine. L’on apprend encore qu’à la rentrée 2016 concomitamment à l’arrivée des intégristes de Sens commun dans la campagne, Serge Grouard anime des « séances de brainstorming pour la mise au point de nos principaux documents de campagne ». Patrick Stéfanini rend ensuite un hommage appuyé au député du Loiret : « il devient urgent d’achever la rédaction de ce projet et d’élaborer les documents nécessaires à sa vulgarisation. Le rôle du député Serge Grouard devient alors essentiel. Ancien collaborateur de Jacques Chirac à la mairie de Paris à la fin des années 90, élu maire d’Orléans en 2001 et constamment réélu depuis lors,il a été aussi l’un des seuls parlementaires des Républicains à avoir critiqué le retour en politique de Nicolas Sarkozy.” Sur la même longueur d’onde, on se souvient de l’attaque de Fillon contre son ancien patron et contre Juppé : «Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen ». Avant qu’il ne soit lui même rattrapé par « l’emploi présumé fictif » de Pénélope, un boomerang qu’il prendra ensuite en pleine figure. Serge Grouard participera aussi à des « médias training » et à des « débats à blanc » pour préparer la primaire, où il jouera le rôle des candidats adversaires de Fillon.
L’homme de La Marseillaise
Portrait de Serge Grouard dans Libé
Pour le commun des citoyens, Stéfanini rappelle qui est ce Serge Grouard, « Les Français l’ont découvert à l’Assemblée nationale lors de l’hommage rendu aux victimes des attentats contre Charlie hebdo et l’Hyper Cache de Vincennes…Serge Grouard est gaulliste et son caractère est parfois difficile, mais c’est un sacré bosseur, avant l’été il avait décidé de résumer le projet Fillon alors éparpillé dans une dizaine de brochures qui avaient le mérite de la cohérence intellectuelle…Il choisit de faire établir un document unique qui se présente comme un abécédaire et que je suggère de présenter lors d’une conférence de presse ».
L’hommage est encore plus appuyé, malgré l’opposition des communicantes du camp Fillon à ce document, Patrick Stéfanini dit, « j’ai pourtant la conviction que ce livret a constitué un excellent document de communication…Il recevra un large écho et sera, dans la dernière ligne droite, un de instruments permettant de cristalliser les intentions de vote en faveur de François Fillon ». Alors à partir de ce témoignage précieux de Patrick Stéfanini, il est clair que si Serge Grouard n’a pas écrit l’original du programme de Fillon, il a largement participé à le populariser. « Outre l’abécédaire, Serge Grouard va travailler à l’élaboration de notre journal de campagne », poursuit le directeur de la campagne Fillon.
Goût du secret, indifférence aux autres
Sur la fin de l’ouvrage, passionnant parce que c’est aussi une tranche d’histoire comme le fut l’ouvrage de Gérard Davet et Fabrice Lhomme (« Un président ne devrait pas dire ça» chez Stock) Stéfanini, qui fut aussi directeur de campagne de Chirac en 95, et celui, gagnant également, de Valérie Pécresse en 2015 aux régionales d’île de France, ancien proche de Juppé, raconte les tentatives pour faire plier Fillon après les révélations du Canard. Il dit encore son incrédulité puis sa propre démission avant le meeting du Trocadéro qu’il avait organisé. Goût du secret, flegme, sang froid poussé à l’extrème, manque de charisme, habileté tactique, mais surtout « l’indifférence » aux autres, les revers de la cuirasse, la vraie nature de Fillon, , apparaissent -enfin- à Patrick Stéfanini et à ceux qui, comme Serge Grouard ont pratiqué depuis des années, le châtelain de Sablé-sur-Sarthe.
Il n’est plus question de l’ancien maire d’Orléans dans les pages du dénouement final, lorsque la droite en pleine implosion n’est pas capable d’imposer un plan B, alors que le programme de Fillon avait séduit l’électorat traditionnel de son camp. Un dirigeant régional de LR nous a dit un jour des rapports singuliers de François Fillon avec ses collaborateurs comme Serge Grouard : « je ne suis même pas sûr qu’ils aient jamais pris un café ensemble ». Tout est dit. Le problème c’est que personne à droite n’a jamais cherché à savoir vraiment qui est était cet homme si distant, si bien mis, mais si peu empathique avec ses partisans. Cette droite-là n’a sans doute pas fini d’en payer les conséquences.
Ch.B