Révolution ? La société politique débloquée

Il y a un an, un candidat iconoclaste aux élections présidentielles, dont beaucoup d’observateurs pensaient qu’il accomplissait un premier tour de piste, puisque le candidat de la droite vainqueur des primaires prenant déjà ses marques à l’Élysée, publiait Révolution. Pour un jeune premier formé au quadruple contact de Paul Ricoeur, de Michel Rocard, de la banque Rothschild et du patelin François Hollande, ce vocabulaire hérité des sans-culottes et de l’avant-garde bolchevique de 1917 avait de quoi surprendre.

La fin du rideau de fer partisan

De fait, l’année 2017 a déjoué tous les pronostics : les électeurs ont voulu renverser la table et faire tomber le rideau de fer qui séparait les deux camps immuables d’une “guerre civile froide” désormais obsolète. L’alternance mécanique et quasi-obligée de la droite et de la gauche depuis 1981 a fait long feu, au grand dam d’une droite conservatrice déjà installée dans le costume présidentiel, généreusement offert par ses amis à François Fillon. Comme l’échec de l’hyper-president Sarkozy avait accouché, après le suicide politique du candidat Strauss-Khan, de la victoire de Hollande, le rejet du “président normal” aurait dû assurer le retour triomphal de la droite.

On comprend que ce soit l’échec de trop pour les militants et sympathisants LR, ulcérés de cette improbable débâcle digne de 1870 et de 1940, mais sans Zola ni Marc Bloch pour l’analyser. Que les juppeistes et lemairistes, sociaux, libéraux et européens, quittent le navire désormais confié au gouvernail du très droitier Laurent Wauquiez obéit à une logique implacable, particulièrement délétère pour un parti qui postule à incarner l’alternance et à convaincre une majorité de Français, et non seulement un quarteron de pénitents de Sens commun en retraite spirituelle.
Parfaite incarnation locale du désarroi des notables traditionnels, les malheurs récents du député-maire de Montargis illustrent à eux seuls la fin d’un monde, celui du cumul des mandats, simultané et à vie. Comme quoi, dans la Venise du Gâtinais il faut se méfier de l’eau qui dort et des canaux historiques. Quand rien ne va, tout des blogs.

La gauche ou l’Art de perdre

Quant à la gauche, sa défaite est bien moins surprenante, mais peut-être encore plus grave par son ampleur, et surtout par la validation de la prophétie de l’ex-locataire de Matignon sur les “gauches irréconciliables”. En l’occurrence, Cassandre a été aussi l’un des principaux fossoyeurs du quinquennat, avec une fin de mandat inouï où l’on a pu voir un premier ministre, ancien directeur de campagne du President, tout faire pour le dissuader de se représenter et prendre sa place dans la campagne : celle du mort.

À l’avenir, comment imaginer une alliance crédible entre le “Maduro français” et le pourfendeur des complices de l’Islam radical, ou même entre un parti socialiste à nouveau confié à un couple glamour – après Ségolène et Francois, Najat et Boris – et les Insoumis. Victime de cette dérive des continents, Benoît Hamon a pu incarner une forme d’espoir de renouveau des thématiques et des pratiques, conjuguant réformisme et utopie, mais le chemin demeure aussi long que la voie étroite, si l’on ose cette raffarinade.

Comment peut-on être centriste ? Le meilleur des mondes de Macronmegas

Ce déblocage du jeu partisan assure-t-il durablement une recomposition au profit d’une nouvelle hégémonie, celle de ce triangle des Bermudes de la politique française, le centre, toujours moqué, jamais vainqueur depuis 1958 ? En apparence, Bayrou en avait rêvé et s’en était même approché en 2007, Macron l’a fait, naturellement, en cultivant son jardin comme un moderne Pangloss, en amateur de la douceur des jardins du Val de Loire, de Chambord et du Loir-et-Cher, “lieu saint” du centrisme.

Le naufrage moral du candidat Fillon, la fragmentation du PS et la prime au verbe haut sur les faits vrais, à l’affirmation péremptoire populiste sur la proposition concrète ont dégagé un boulevard au jeune premier déniché par Francois Hollande, synthèse électorale idéale d’un Giscard du 21e siècle et du “parler-vrai” de Michel Rocard.

Les cadeaux de “Joyeuse entrée” du President Macron

Ce hold-up réussi en 2017 peut-il durer ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, le pire n’est pas toujours sûr, et plusieurs facteurs militent aujourd’hui pour le succès du quinquennat Macron et contre la théorie de la bulle spéculative. D’abord, le rejet des “partis du vieux monde” reste puissant, faisant de mai-juin 2017 une sorte de rejeu de faille entre l’opinion publique et le “régime des partis” de mai-juin 1958.

Surtout, qui pour incarner une alternative crédible ? Les meilleurs alliés du President Macron ne sont ni le Modem, ni les Constructifs, mais bien la triplette repoussoir des classes moyennes urbaines : Wauquiez la posture, Mélenchon l’outrance et Le Pen la décrédibilisée.

De plus comme Lionel Jospin en son début de gouvernement, Macron bénéficie de vents favorables sur presque tous les fronts, bref, de la chance en politique. La croissance atteint son rythme de croisière à 2%, les touristes reviennent, les grands événements sportifs mondialisés échoient à la France (des JO à la coupe du monde de rugby), en attendant d’accueillir “nos amis de la finance” désespérés par Theresa May. Surtout, la majorité des Français, sans forcément adhérer au fonds de ses réformes, lui accordent une forme de sursis, lui laissent la chance de réussir à débloquer l’économie et la société comme il a réussi à désenclaver la société politique. Après un tiers de siècle de défiance envers le pouvoir politique, depuis le tournant de la rigueur de 1982, la “charge de la preuve” a changé de camp : la rue comme les urnes misent “pour voir” sur ce “Président pour une France moderne”, pour reprendre le slogan de François Mitterrand en 1965.

Au crépuscule de cette année singulière, à l’aurore de 2018, et si la “révolution” à venir, sans doute encore plus délicate, c’était finalement de passer du bénéfice du doute au retour de la confiance en l’action publique ?

Le meilleur des mondes possible ?

Mais le plus dur se situe ailleurs, sur la scène mondiale. Encore une chance ici de gagner à l’incertaine loterie internationale : d’un Brexit étonnamment bien maîtrisé par l’Union européenne à la perspective providentielle d’un gouvernement de “grande coalition” très europhile à Berlin, tous les voyants se mettent au vert. Mais restent des défis redoutables dans un monde déstabilisé par l’erratique présidence “Fake Trump” : une Europe enfin dotée de volonté politique saura-t-elle se substituer à une Amérique à la parole invalidée, pour maîtriser la question iranienne, la menace coréenne, la poudrière proche-orientale ou encore, à ses portes, le dopage militaire poutinien et le défi du développement africain ?

Cette fois, il y faudra bien plus que de la chance et du talent, de la détermination et de la constance, sous peine de ruiner cette fragile promesse de l’aube.

Pierre Allorant.

Commentaires

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  1. Effectivement priver les citoyens de leurs ressources, les anesthésier sous un déluge de paroles venues des féministes et autres écolo-biobos, leur raconter que la laïcité est le combat à gagner sur les islamistes (qui n’en n’ont rien à f…), leur faire croire que l’union politique de l’Europe est le seul rempart face au vilain Trump et au méchant Poutine (en oubliant au passage que la Chine va devenir le plus insidieux de nos ennemis), que l’augmentation des taxes, impôts et autres facéties comptables va débloquer la vie politique à la française. Mais pas forcément dans le sens voulu par M. Macron, tant les tensions qu’il crée sont autant de forces cumulables qui risquent bien de faire exploser à tout moment le chaudron de la colère citoyenne. Je ne souhaite pas le chienlit mais comme on ne peut rien attendre d’un parlement à la botte ( et ce sera encore pire si on réduit le nombre de députés) on doit s’attendre à tout. Hélas !

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