Le coup de gueule des présidents de Régions du 28 septembre dernier est encore dans toutes les têtes, au moment d’ouvrir la session plénière au Conseil régional Centre-Val de Loire jeudi 19 octobre. Le Premier ministre Édouard Philippe n’a pas tenu parole et la décision de ne finalement pas attribuer les 450 M€ aux régions en échange de leurs nouvelles compétences ne passe pas. Tour d’horizon d’élus locaux du Conseil régional, qui s’érigent en rempart d’un certain macronisme jacobin, et d’une méconnaissance des territoires, des collectivités. Le vieil antagonisme province – Paris est réveillé, mais s’était-il un jour vraiment endormi ?
Au Conseil régional Centre-Val de Loire à Orléans, les 19 et 20 octobre.
C’est un étrange paradoxe : depuis le début des grands mouvements de décentralisation des années 80, jamais les collectivités locales n’ont eu autant de pouvoir, de capacités à organiser le territoire et à l’administrer. Surtout les régions ! Et « en même temps », le centralisme étatique d’une France jacobine n’en finit pas de régulièrement leur rappeler la longueur de leur longe… Elles ont beau essayer de mordre la main qui les nourrit, les collectivités territoriales – et ce fut le cas des Régions de France en congrès à Orléans fin septembre – les « provinces » sont à la fois en attitude de révolte, et soumises aux décisions de Paris, et surtout de Bercy. Il n’en faudrait pas plus pour de nouveau déclencher des jacqueries provinciales…
“Le pacte girondin ne doit pas devenir un pacte d’humiliation”
Guillaume Peltier, député, conseiller régional et ex maire de Neung-sur-Beuvron (41), ne croit cependant pas à l’unique rôle des régions comme seules « opposantes » à la politique centralisatrice d’Emmanuel Macron : « Les Régions ont pris leur part dans la lutte contre ce jacobinisme centralisateur d’Emmanuel Macron, et je m’en réjouis. Mais je note au passage que l’Association des maires de France avec François Baroin a aussi fait sa part du boulot ; l’Association des départements de France aussi. Les Régions seules ne peuvent pas s’opposer à ce centralisme ».
Sur le possible « pacte girondin » que proposerait Emmanuel Macron aux collectivités pour leur donner plus de « libertés », l’élu solognot n’y croit pas vraiment : « Le pacte girondin ne doit pas devenir un pacte d’humiliation pour les collectivités locales. Moi je crois ce que je vois, pas ce que j’entends. Depuis le 1er juillet, à quoi assiste-t-on ? Une baisse des dotations aux Régions (-450 M€) ; les économies de 13 milliards d’euros qui seront demandées aux collectivités ; la hausse du diesel de 31 centimes d’euros pendant le quinquennat ce qui va pénaliser les ruraux, etc. Depuis quatre mois j’assiste au triomphe du jacobinisme à la française. Si demain, sur la base du volontariat des collectivités veulent s’entendre pour la simplification des strates, je suis d’accord. Mais le pacte girondin que j’appelle de mes vœux est basé sur le respect, la confiance, de la vision et des perspectives. Nous en sommes encore loin ! ».
Le niveau stratégique en Europe : la région
Charles Fournier
« L’échelon marquant c’est la Région », estime de son côté l’élu régional écologiste Charles Fournier. “C’est le niveau stratégique de la décentralisation, et pourtant on voit à ce qui se passe actuellement que c’est le niveau le plus maltraité. Sur la transition énergétique par exemple, c’est au niveau régional qu’on peut agir. Les 450 M€ vont manquer c’est vrai mais il n’y a pas que ça. Avec les 13 milliards d’économies les Régions seront impactées aussi. On est en train de les assécher. Avec une fiscalité très faible : seulement 15 % (les cartes grises, Ndlr). Cette recentralisation va à l’encontre de ce qui se fait dans le monde entier, où l’on constate que le niveau stratégique c’est la région ».
Michel Chassier.
Pour Michel Chassier, chef de file du groupe Front national à la Région, « Si chaque collectivité y va individuellement, c’est sûr que ça ne portera pas. Les régions doivent avoir une position commune avec les départements. L’effort budgétaire de l’État est supporté par les collectivités, qui sont obligées d’équilibrer leurs budgets sans pouvoir recourir à l’emprunt. Il faut une cohérence dans l’action. Chaque région fait son schéma comme si elle était seule. Ici par exemple on le fait sans évoquer les relations sur l’axe ligérien avec les Pays de la Loire ou avec l’Ile-de-France ».
La revanche de Bercy
Jean-Patrick Gille.
Plus mesuré et voulant éviter « de crier avant d’avoir mal », et « sans faire de procès d’intention », Jean-Patrick Gille (PS, Indre-et-Loire) pense « qu’il y a une cécité du gouvernement sur la réalité des territoires et des collectivités locales. Sur le sujet, c’est Bercy qui dirige. Mais je ne fais pas de procès d’intention, je veux d’abord voir ce qu’ils vont faire. Je regarde les choses de manière factuelle : il y a visiblement une volonté de réduire l’autonomie financière des collectivités locales. Regardez la suppression de la taxe d’habitation : les gens qui vont être concernés sont contents. Mais la compensation de l’État fera perdre la dynamique aux communes ».
Bercy, voilà l’ogre, une histoire à dormir debout ? Pas vraiment, selon l’élu de Touraine : « C’est la revanche de Bercy, nos élites converties à une pensée libérale étatique. Ils veulent contrôler les choses de façon managériale, mais on n’est pas des filiales ! Cela dit ne tombons pas non plus dans le piège qui peut nous être tendu : que par la suite nous soyons taxé de revendiquer nos intérêts (locaux) ». Il ajoute : « Il y a clairement une sous-estimation du fait régional, qu’ils ne connaissent pas. Et ça va à l’encontre de l’air du temps, ailleurs en Europe, on le voit avec la Catalogne par exemple. Ils craignent de perdre le contrôle, et de laisser des grandes régions sous le contrôle de présidents comme Laurent Wauquiez par exemple ».
Sans assise d’élus locaux, avec des élections encore lointaine (2020, 2021) et sans garantie de succès ; sans non plus d’élus locaux ou avec cette expérience à l’Assemblée nationale, en tout cas pas dans la majorité, Emmanuel Macron et son gouvernement ont en effet tout à craindre du retour en force des grandes provinces d’autrefois, grands duchés de Rhône-Alpes-Auvergne, Occitanie ou Nouvelle-Aquitaine, et leurs “ducs” en puissance… En attendant, la résistance s’organise, dans le verbe pour le moment, mais pas seulement : l’Assemblée des Régions de France n’a toujours pas rejoint la table de la Conférence des territoires, quittée avec fracas à Orléans le 28 septembre dernier.
F.Sabourin.