Le Président de la République s’était déjà engagé à réduire d’un tiers le nombre de Parlementaires. Devant la Conférence nationale des territoires, il a déclaré qu’il faut “engager une réduction du nombre d’élus locaux”. Combien sont-ils? 608 000 selon la Direction des collectivités locales, 640 000 selon d’autres sources. Le coût de leur rémunération est d’environ 1,2 milliards d’euros par an.
80% de ces indemnités va aux élus des communes; Or, sur les 521 000 conseillers municipaux 307.400 le sont dans une commune de moins de 100 000 habitants et sont donc bénévoles. Le point de vue de deux élus, le sénateur du Loiret-Jean-Pierre Sueur, PS, qui fut maire d’Orléans et celui de François Lagarde (LR), président de la Commission d’appels d’offres d’Orléans Métropole.
Jean-Pierre Sueur: non, il font vivre au quotidien la démocratie
Jean-Pierre Sueur
Y a-t-il trop d’élus locaux en France ? À cette question ma réponse est claire : c’est non !
Qu’on n’y voie pas une quelconque démagogie. Non, ma réponse se fonde uniquement sur l’expérience et sur ce que je connais des 326 communes du Loiret.
Les conseils municipaux des plus petites communes, celles de moins de cent habitants, comptent 7 élus. Au-delà, et jusqu’à 500 habitants, ils sont 11. Jusqu’à 1500 habitants, ils sont 15, puis 19 jusqu’à 2500 habitants, etc.
Et je puis témoigner que ce qui caractérise ces 7, 11, 15 ou 19 citoyennes et citoyens réunis autour de la table du conseil municipal de nos villages et petites communes, c’est qu’elles – où ils – connaissent chaque rue, chaque chemin, chaque entreprise, chaque commerce, chaque ferme, chaque école, chaque association….Ils font corps avec leur commune. Ils l’aiment. Ils savent mieux que quiconque ce qui est bien, ce qui est souhaitable pour leur commune.
Ils sont les meilleurs défenseurs de ce qu’on appelle l’ « aménagement du territoire ».
Qui dirait qu’il serait bénéfique de les remplacer par des technocrates, sans doute moins nombreux, mais plus éloignés du terrain et ne connaissant pas, comme eux, les réalités ?
J’ajoute que plus de 90% des conseillers municipaux de France ne touchent aucune indemnité. Et pour ceux qui en touchent, il suffit de diviser le montant de cette indemnité par le nombre d’heures consacrées à la commune pour vérifier que ce n’est pas trop cher payé de l’heure….
Ils sont environ 550 000. Ils font vivre au quotidien la démocratie et battre le cœur de la République.
On peut poser la question du nombre des parlementaires. D’ailleurs l’absentéisme qui subsiste – hélas ! – montre qu’ils pourraient être moins nombreux.
Mais il serait vexatoire pour les élus locaux et, de surcroît, très préjudiciable à notre vie démocratique que de réduire leur nombre et de congédier sans raison tant de bénévoles qui servent inlassablement nos communes et leurs habitants. Et comme nul n’est infaillible, il est toujours possible de revenir sur un « effet d’annonce » inopportun…
Jean-Pierre Sueur
Sénateur du Loiret
François Lagarde : c’est le millefeuille qui pose problème
François Lagarde
Le président de la république soulève un sujet fondamental : les difficultés de l’exercice de la démocratie représentative dans notre pays. Mais il le fait de manière exclusivement quantitative. « La démocratie représentative fonctionne mal ? Il faut diminuer le nombre d’élus : cela permettra de faire des économies “et en même temps”, cela fera plaisir au bon peuple ! »
Or, le problème est en réalité beaucoup plus complexe. Nous souffrons aujourd’hui de plusieurs maux : le millefeuille institutionnel et la complexité de la répartition des compétences entre les différentes collectivités, la persistance de structures obsolètes (tels les syndicats intercommunaux qui sont encore plus de 12.000 ; rappelons que le mouvement dit de « rationalisation de l’intercommunalité » a été initié il y a plus de dix ans !), le caractère finalement peu démocratique du couple intercommunalité / région qui prend progressivement le pas sur la commune et le département et enfin le niveau de plus en plus faible des décideurs politiques.
Je voudrais revenir brièvement sur ces deux points.
Quand les Français votent pour leur maire, ils ne savent pas qu’ils votent aussi pour désigner les représentants de leur commune au sein de l’intercommunalité. Les présidents et vice-présidents d’intercommunalité sont ensuite élus par le conseil de communauté, mais ceci s’effectue en vase clos et entre « collègues », en respectant différents types d’équilibres, sans que le citoyen s’en mêle. Quand les communautés urbaines deviennent des métropoles, le nombre de vice-présidents passe partout, conformément à ce que l’article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales autorise, de quinze à vingt, sans que cela soit toujours justifié. A Orléans, nos « amis » socialistes s’opposaient à la politique conduite par l’AgglO depuis 2014, et sans que celle-ci ait changé d’un iota, considèrent depuis le 1er janvier 2017 que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » : est-il utile de préciser que c’est à cette date que MM. Chaillou et Thiberge sont devenus vice-présidents de la communauté urbaine ?!
La loi relative à la délimitation des régions, quintessence du bricolage et de la combinazione hollandistes, a créé des objets politiques non identifiés (Strasbourg est désormais dans la même région que Troyes !), en lesquels les citoyens ne peuvent se reconnaître. Et le maintien du scrutin proportionnel de liste donne tous pouvoirs aux partis et aux caciques locaux pour faire élire dans les conseils régionaux des gens parfois très peu qualifiés uniquement pour « services rendus ». La réforme du conseiller territorial votée sous Sarkozy aurait pu permettre de limiter cela, mais elle a été abrogée suite au vote d’une proposition de loi déposée par le sénateur Sueur…
Enfin, en ce qui concerne la compétence de la classe politique, je cite souvent cette phrase d’un ancien secrétaire général de l’Elysée : « Les ministres des années 2010 sont du niveau des assistants parlementaires des années 1980 ». L’action politique est sans doute le domaine dans lequel le succès ou l’échec sont totalement indépendants des mérites et des compétences : Gilles Carrez (LR) et René Dosière (PS), excellents parlementaires, n’auront jamais été ministres. Une avocate, nouvelle députée LREM qui a le niveau d’un étudiant en prépa Sciences-Po, vient d’être élue présidente de la prestigieuse commission des lois de l’Assemblée nationale. Les élections législatives, devenues simple troisième tour de confirmation de l’élection présidentielle depuis l’adoption du quinquennat en 2000 et l’inversion du calendrier électoral en 2001, n’ont plus de rôle structurant dans la vie politique française. Les députés sont bien souvent élus par le truchement d’une vague nationale. Le Parlement n’a plus les moyens, intellectuels et politiques, de contrôler l’action du gouvernement.
Les collectivités locales qui exercent les compétences les plus stratégiques souffrent d’une légitimité insuffisante et d’un manque de lisibilité de leur action et de leur fonctionnement ; la « Nation assemblée » ne représente plus le peuple et les députés ne sont plus à la hauteur des enjeux. La réduction du nombre d’élus locaux et nationaux, pour compréhensible qu’elle soit, ne changera hélas strictement rien à cela.