Quels que furent les efforts déployés par les militants d’en bas à grand coups de tracts sur les marchés et de réunions peu fréquentées, le sommet de la campagne présidentielle, avant le premier tour, et encore plus avant le second Mme Le Pen s’en souvient, s’est joué à la télévision. Pierre Allorant était revenu en ce début avril sur ce débat qui avait certes révélé quelques seconds couteaux comme Poutou, Poisson et Lassalle, mais selon les sondages les jeux étaient faits, la droite républicaine et son champion François Fillon ne seraient pas au second tour le 7 mai. Retour sur un débat historique.
Première parution le 5 avril 2017.
Le premier débat, réduit aux cinq favoris des sondages, avait vu plusieurs ténors regretter le déni démocratique de l’absence de la « bande des six » lilliputiens. Mardi soir, c’était la revanche de la France d’en bas : libre antenne à l’expression de la colère un peu foutraque du quarteron des derniers gaulliens, tendance 1962, et du tandem des trotskistes, Poutou le débridé et Nathalie Artaud la très structurée.
Par Pierre Allorant
Le regretté Roger Couderc aurait probablement entonné son célèbre « allez, les petits ! », mais l’impression dominante était de se trouver au zinc du café du commerce, là où vilipender les méfaits de l’Europe de Bruxelles et la rapacité des banquiers et des capitalistes garantit un succès d’estime. Selon l’expression consacrée depuis le sympathique Marcel Barbu en 1965, c’était bien « radio-crochet » ou, pour parler à la génération Macron, le moment « The Voice ». Le paradoxe du débat à onze, moins cacophonique que l’on aurait pu le craindre, a été de s’éterniser sur quatre heures tout en donnant lieu à des réponses saccadées aux arguments lapidaires, souvent caricaturaux.
Le poumon et le Poutou
Mais l’enjeu était sûrement ailleurs, de permettre aux téléspectateurs-électeurs de se faire une meilleure idée non des programmes, inaudibles, mais des personnalités des candidats à la veille de la quinzaine des soldes, entendez le premier tour où les « travailleurs détachés » de leur silence médiatique quinquennal seront à nouveau réduits à être spectateurs du match décisif. De ce point de vue, le seul véritable débat plénier, inédit, a bien permis de laisser libre cours à l’expression des cris du peule et des cris du cœur, et tant pis si bien souvent on était chez Molière, pas pour la clause linguistique, le beau langage énoncé clairement restant l’apanage de Mélenchon, mais pour « le poumon, le poumon ! », ici remplacé par « l’Europe, l’Europe vous dis-je ! » Du moins, les fourberies, familiales du château Fillon et de la firme Le Pen, n’ont cette fois pas été passées sous silence : l’iconoclaste Poutou, poussé sur le ring comme un boxeur par ses coachs, a rompu les euphémismes diplomatiques pour invectiver frontalement, qui Tartuffe, qui l’immunité parlementaire personnifiée. Traduit dans la langue de « l’insoumis », il s’agissait bien de « récurer les écuries d’Augias ».
« Reine d’un jour »: les six personnages en quête d’auteur
En une sorte de journée de la démocratie participative, la seule victoire attendue a bien été celle des six inconnus de la République, ces personnages en quête de notoriété et de hauteur dans les courbes de cotes d’avenir. Recordman du fossé entre capital de sympathie et crédibilité présidentielle, le géant des Pyrénées, Jean Lassalle, souvent confus et toujours décalé, a réussi à faire passer son amour des petites communes, base de la démocratie de proximité, et son inquiétude pour le sort des personnes âgées, y compris quand « jusqu’à 94 ans et demi, tout va bien ! » Asselineau, alias M. Frexit, a asséné, en une belle lapalissade, que « les Français ne sont pas des anglo-saxons », et Dupont-Aignan a été crédible sur la dénonciation de la fracture entre les métropoles et la France périphérique, et percutant sur ceux qui se servent plutôt qu’ils ne servent l’intérêt général. Seul Cheminade « l’indigné » a durablement peiné à faire partager le sens de sa candidature, détestation de la finance exceptée.
Le pénible interrogatoire en société du miraculé du Trocadéro
Plus que la recherche vaine et subjective d’un hypothétique vainqueur, le sentiment qui en ressort est que chacun a pu montrer son caractère, et ce n’est pas rien. Le dernier carré des partisans farouches du balafré de la campagne, François Fillon, se féliciteront de son « toujours vivant » et en rajouteront dans l’admiration de sa ténacité sous l’orage, non au sens propre météorologique tel François Hollande, mais au sens figuré. Toutefois, force est de constater que l’ancien premier collaborateur de Nicolas Sarkozy aura connu des jours meilleurs, comme en témoignent son agressivité, son visage fermé et peu entraînant dans sa conclusion et même durant une anaphore « téléphonée » et peu crédible sur l’exemplarité, enfin son cri du cœur : « On a l’impression de subir un interrogatoire ! » Pas de quoi redonner un moral de vainqueurs à ses partisans, ulcérés de leur impuissance devant la mutation-éclair d’une élection imperdable en un scrutin ingagnable.
Le cinq majeur à la peine. À chacun sa vérité
Comme à son habitude, la candidate définitivement dédiabolisée a méthodiquement cultivé le jardin secret des angoisses et des frustrations de ses clientèles agglomérées, balayant d’un revers de main l’accumulation désormais impressionnante des soupçons concordants de détournement d’argent public. Quant à Emmanuel Macron, à nouveau interpelé sur son parcours, sur le « pantouflage » des énarques et les risques de conflits d’intérêt, il n’a pas commis d’impair et a même consenti par moments à quitter le ton du consensus permanent pour plaider avec sincérité en faveur d’une Europe forte et protectrice des droits. Benoît Hamon est trop peu sorti de sa réserve polie pour envisager de renverser la tendance, seule sa défense et illustration des mérites des fonctionnaires et des bienfaits du service public lui aura peut-être permis de reconquérir les cœurs du socle des sympathisants socialistes.
Enfin le héros du premier débat, Mélenchon, a été moins flamboyant et même parfois réduit à la défensive face aux piques de Nathalie Artaud. Mais il a su retrouver des couleurs en moquant la drôle de laïcité selon Marine Le Pen – la crèche pour tous dans chaque mairie, avec sans doute Louis Aliot dans le rôle du ravi – et surtout en concluant sur le commencement attendu des jours heureux et l’état d’urgence à « retrouver le goût du bonheur ».
Si la notion de « vote utile » accapare toutes les conversations, le débat utile a bien eu lieu. Mais il n’a sans doute pas contribué, en-dehors d’un frémissement en faveur des candidats les moins connus, à cristalliser les choix définitifs. En ce sens, ce n’est une bonne nouvelle ni pour Hamon, ni pour Fillon, dont le handicap devient difficilement rattrapable. Sauf évènement majeur ou « vote caché » improbable, seule l’échappée belle de Mélenchon semble en mesure de modifier la hiérarchie probable du 23 avril, avec une configuration décidément inédite, renversante.
P.A