Le film de Pablo Larrain, Jackie, montre les heures et jours qui ont suivi l’assassinat de John Kennedy, le 22 novembre 1963 à Dallas. Natalie Portman incarne la First Lady sanglée dans son tailleur Chanel ensanglanté, tout en conservant sa beauté et sa prestance toute aristocratique, virant au spectre par moment. L’histoire d’une femme qui voulait donner à l’homme qu’elle aimait les obsèques à la hauteur de cet amour, tout en le faisant entrer dans la mythologie américaine. Émouvante et inflexible, elle portera seule le deuil d’une vie coupée en deux.
(c) Bac Films
« A brief shining moment ». Un bref moment étincelant. Voilà comment on pourrait résumer la vie du 35e Président des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy, durant « deux ans, dix mois et deux jours ». Un bref moment étincelant aussi celui que Jackie, mariée dix ans à John, avant de tenir entre ses mains sa tête ensanglantée à Dallas le 22 novembre 1963 à bord d’une Lincoln Continental. Des images à jamais gravées dans nos yeux. Le film de Pablo Larrain, qui vient également de s’illustrer avec Neruda, raconte les heures, et les jours qui suivent l’assassinat de Dallas, comment Jackie, contre l’avis de tout le monde, va organiser elle-même les funérailles de son mari, en révélant du même coup une part de sa personnalité au monde entier.
Quitter le temps, entrer dans le mythe
(c) Bac Films
Quelques jours après ces funérailles auxquelles ont participé plus de 100 chefs d’État du monde entier, et au moins un million de personnes, Theodore White, journaliste au magazine Life, sonne à la porte d’une vaste maison de Hyannis Port, Massachusetts. Une femme seule, les joues creuses, mais au port de tête altier et impeccablement coiffée, lui ouvre. C’est l’ex First Lady, Jackie Kennedy. Rien de ce qui sera écrit dans cette interview pas comme les autres ne filtrera sans être passé par son filtre personnel. Le film de Pablo Larrain montre ces aller-retour entre les séquences d’interview, la préparation des funérailles avec les tensions entre Boby Kennedy et le nouveau Président Lyndon Johnson, l’annonce du décès aux enfants Caroline et John John, et les fantomatiques déambulations d’une jeune veuve dans une Maison Blanche devenue un immense dédale de pièces trop grandes, à la blancheur sépulcrale d’un tombeau-musée. Jackie, contre l’avis de tous, brave les inquiétudes des services de sécurité qui craignent un nouvel assassinat, mais elle veut des obsèques aussi grandioses que celles d’un autre président mort assassiné : Abraham Lincoln. C’est elle seule qui mènera le cortège funèbre dans les vastes avenues de Washington jusqu’au cimetière d’Arlington, où elle choisit elle-même le lieu de sépulture de John. On quitte le temps pour entrer dans le mythe.
Intime et opaque
(c) Bac Films
Accompagné d’une crépusculaire et mélancolique bande-son de Mica Levi, Jackie n’est pas imitée mais incarnée – le mot n’est pas trop fort – par Natalie Portman, magnétique beauté froide dont on se demande, dans le contexte actuel, comment l’Oscar de la meilleure actrice pourrait bien lui échapper… Dans un style précis et tendu, elle incarne toute la séduction, l’inflexibilité, le raffinement, l’élégance et la prestance d’une femme que la mort de son mari va littéralement couper en deux, révélant à la fois sa grandeur d’âme et sa solitude. A l’instant T du deuil et trauma de l’histoire, voir à ce sujet la scène surréaliste où elle doit subir, le corps encore chaud de John mort, la prestation de serment de Lyndon Johnson, dans l’avion encore sur le tarmac de Dallas… Étouffant.
Passé et présent télescopés par la maîtrise cinématographique de Pablo Larrain, Jackie – Natalie Portman à laquelle il ne manque pas un bouton de tailleur Chanel, embrasse l’énigme, en révélant une part d’intimité tout autant que d’opacité. « On ne saura jamais vraiment qui était Jackie Kennedy » avoue lui-même le réalisateur. « A brief shining moment », peut-être…
F.Sabourin.
Jackie, de Pablo Larrain. 1h40. Sortie le 1er février.