Il y a dans l’affaire des « Panama papers » comme un parfum d’éternel retour. On n’aura pas oublié qu’à la fin des années 1880, la IIIe République vacilla sur ses jeunes bases après que la mise en liquidation de La Compagnie du Canal de Panama eut ruiné quelque 85 000 souscripteurs d’augmentations successives de capital et révélé l’étendue de la corruption qui rongeait le monde de la presse et de l’establishment républicain.
Exploité par le polémiste antisémite et anti-parlementaire Édouard Drumond, qui distillait du fond de la prison où il était pour une autre raison les noms de personnalités dont il avait eu à connaître par des documents confidentiels, le scandale fut énorme. Il toucha non seulement les administrateurs de la compagnie, Ferdinand de Lesseps et son fils, mais aussi les ingénieurs impliqués dans le creusement du canal, Charles Freycinet et Gustave Eiffel, le ministre de l’Intérieur Émile Loubet – futur président de la République, comme quoi l’espoir n‘est jamais perdu en politique – , celui des Travaux publics, le président de la Chambre des Députés et l’entourage du président Jules Grévy, ainsi que 104 parlementaires, vite qualifiés de « chéquards » pour les sommes qu’ils avaient reçues à un titre ou un autre.
Les journalistes ne furent pas épargnés puisque beaucoup d’organes de presse comme Le Temps, qui était un peu Le Monde de l’époque quant à la réputation de sérieux, ou La Justice de Clemenceau, avaient bénéficié de libéralités en échange d’un écho favorable donné aux lancements d’emprunts. Ceci valut au vendéen la perte de son siège de député et une assez longue traversée du désert.
Cette fois-ci, il s’agit toujours d’argent et de corruption, mais d’un autre ordre. L’affaire est plutôt liée à l’opacité des transactions offshore, c’est-à-dire effectuées hors de tout contrôle de la part des pays qui prétendent garder la main sur les mouvements de capitaux, dans le but évident de dissimuler au fisc les sommes placées dans des « sociétés écrans » au montage compliqué accueillies sur leur territoire par des états peu regardants sur l’origine des capitaux.
Est-ce un effet de la mondialisation ? Le retentissement du scandale est cette fois mondial. Il concerne aussi bien l’Islande, dont le Premier ministre a dû démissionner sous la pression de l’opinion publique, que l’Argentine ou l’entourage des présidents Poutine et Bouteflika. Il affaiblit la position de David Cameron et éclabousse du beau linge ( ?) international de la jet set, de la finance ou du sport, plus – ce qui fait plaisir – quelques politiciens français volontiers drapés dans leur moralité.
Une question qui se pose est de savoir quelles garanties avait bien pu donner le Panama pour être retiré de la liste des paradis fiscaux et mis au ban de la finance internationale il y a quelques années avant de s’y voir remis vite fait bien fait ces jours-ci. Une autre concerne la réalité de la volonté affichée des gouvernements – et en particulier d’un gouvernement français dirigé par un « ennemi de la finance » — de mettre un terme aux paradis fiscaux, aux trafics et blanchiments en tout genre. L’opinion publique n’avait pas besoin de cela pour acquérir encore un peu plus de défiance à l’égard de la classe politique.
Au fur et à mesure que s’égrennent les noms des personnalités impliquées, on se demande en tout cas combien d’entre elles vont porter le… chapeau.
Gérard Hocmard