Clémenceau sombre dans les Nymphéas

Pour cette nouvelle tournée de La Colère du Tigre de Philippe Madral et mise en scène par Christophe Lidon, Claude Brasseur rendosse magistralement le costume de Clémenceau. Mais cette fois, ce n’est plus à Michel Aumont qu’il donne la réplique mais à Yves Pignot en Claude Monet impressionnant… Un duo haut en couleur, entouré de Sophie Boustral et Marie-Christine Danède. Jusqu’au 9 octobre sur la scène du CADO à Orléans.

Photo JF Grossin

Photo JF Grossin

On s’y croirait presque… Où ça ? À Giverny. Dans un doux décor impressionniste de circonstance, entre toiles peintes, tulles et projections, nous voici d’emblée plongés dans l’univers de Claude Monet et de ses Nymphéas. Ah, les Nymphéas ! Ce sont elles qui vont provoquer la colère du Tigre ! Enfin, plutôt son créateur, qui, insatisfait de ses productions, va les détruire jusqu’à en rendre fou son grand ami et généreux mécène qui lui a fait spécialement aménager un musée. La vive explication aura lieu chez Clémenceau, dans sa maison au bord de l’Atlantique. Pour témoin : l’aimante, touchante et drôle gouvernante, Clotilde (Marie-Christine Danède), dont la naïveté va amener Monet à parler de lui et de son œuvre ; et l’éditrice, Marguerite (Sophie Boustral), qui, par sa beauté et sa douceur viendra toucher le cœur du Tigre.

Entre scènes de la vie quotidienne et échanges épistolaires, le duo Brasseur-Vignot, que l’on sent sur scène très complice, est ici impressionnant dans l’interprétation de ces grandes figures, mais aussi très émouvant : car au-delà de la discorde, il y a avant tout les liens d’une amitié profonde mais aussi l’angoisse de la fin de la vie, l’un touché aux yeux, c’est-à-dire dans ce qu’il a de plus précieux pour exercer son art ; l’autre plongé dans la solitude de la vieillesse. Un duo au haut en couleur qui nous plonge dans un volet méconnu de l’histoire de l’une des plus grandes œuvres du père de l’Impressionnisme.

www.cado-orleans.fr/saison.htm

Interview de Claude Brasseur

« J’aime avoir des points communs
avec les personnages que j’inteprrète »

C’est la cinquième fois que vous présentez une pièce au CADO : vous vous sentez ici comme chez vous ?
C’est un théâtre que j’aime bien et où il est agréable de jouer. J’y apprécie vraiment le public car il est éduqué : il réagit bien, il ne va pas voir n’importe quelle merde ou des pièces qui sont à la mode, ici, le public fait des choix intéressants. Je tiens à le souligner parce que ce n’est pas partout comme ça en France.

À 79 ans, vous êtes plein d’énergie sur scène !
Je perds 1,5 kg par représentation. Je m’astreins donc à une certaine hygiène de vie. J’ai joué 140 films et 80 pièces… ça fait beaucoup ! Et là, je suis dans une période dangereuse… Je suis fatigué : cet été, la pièce a tourné pour les festivals, il y a eu aussi le tournage de Camping 3, là, c’est la sortie de L’étudiante et Monsieur Henri, et je repars en tournée… Ce que je crains le plus au monde, c’est d’aller travailler avec des semelles de plomb. Je ne voudrais pas prendre mon métier en grippe.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le personnage de Clémenceau et comment l’avez-vous abordé ?
J’aime avoir des points communs avec les personnages que j’interprète. Clémenceau est bourru, honnête, républicain, il a du mépris pour l’argent, les décorations… Quand je joue un personnage historique, je commence avant tout par me pencher sur le personnage qu’a écrit l’auteur. Ici, Philippe Madral. Le théâtre ce n’est pas la Sorbonne, on n’est pas des profs d’histoire. Après seulement, je me suis plongé dans sa biographie, sa correspondance et quand je trouve des choses qui peuvent enrichir mon jeu, je les intègre.

Cette colère du tigre, qui retombe assez vite malgré tout, évoque un épisode méconnu des Nymphéas…
Le conflit qui les oppose est compréhensible : Clémenceau s’est engagé, par admiration pour Monet, à faire construire le Musée de l’Orangerie aux frais de l’État, pour qu’il y expose ses Nymphéas. Un musée où je suis allé d’ailleurs : deux grandes salles en ellipse… un vrai chef d’œuvre. Monet, atteint de la cataracte – dramatique à l’époque – va détruire des toiles et se désister. C’est tout à fait historique !

C’est une pièce qui aborde aussi la vieillesse de l’un et la solitude de l’autre. C’est assez émouvant…
Les deux personnages ont près de 90 ans dans la pièce. Monet a réussi sa vie personnelle. Clémenceau, lui, a tellement été absorbé par la politique et ses idées qu’il en a négligé sa vie maritale. Il s’est conduit comme un chien. Il aborde sa vieillesse plus libre et tombe amoureux d’une femme de 40 ans de moins que lui. Historiquement, c’est un mystère platonique. Philippe Madral s’appuie sur un événement important : un gros livre de correspondances entre Clémenceau et Marguerite. Plus on avance dans ces correspondances, plus les lettres sont directes. Mais leur relation reste une énigme : beaucoup de choses ont été censurées par le fils de Clémenceau.

À bientôt 80 ans, vous pensez au jour où vous ne monterez plus sur scène ?
Non. J’aime ce que je fais et je travaille le plus sérieusement possible. Mais je ne veux pas me prendre au sérieux : je m’amuse. Je joue la comédie comme on joue au rugby. À mon âge, on se rend compte que les échecs et les triomphes, ça durent vingt minutes… La seule chose que je souhaite, c’est rester encore un petit moment pour prendre mon fils et ma femme dans mes bras…

Estelle Boutheloup

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