“L’inconscient est structuré comme un langage” Jacques Lacan (Séminaire III)
Elle est allemande, elle n’est pas juive, elle n’a pas été persécutée pour ses idées et pourtant, refusant toute rédemption à un peuple qui a permis le crime nazi, elle décide de ne plus jamais parler sa langue maternelle, celle de sa mère disparue, elle veut ainsi maintenir intacte “sa colère” et surtout s’interdire tout retour vers ce passé devenu sans mot…
Question subtile et délicate que nous pose la très élégante Martha (Marthe Keller) dans ce film de Barbet Schroeder (dont la mère est allemande), faut-il changer de langue pour changer de vie, ou peut-on dire que nous sommes “parlés” par notre langue, que notre histoire n’existe que par la langue qui la raconte ?
On pourrait croire un sujet de philo, mais le cinéma peut aussi nous raconter ça, avec la puissance émotionnelle d’un personnage qui incarne la réalité d’une culpabilité collective. Étonnamment, Barbet Schroeder choisit de loger cette réfugiée de la mémoire dans le même décor paradisiaque d’Ibiza, dans la même maison immaculée face à la mer que celle qui servit pour son film “More”, film qui décrivait en 1969, l’enfer de deux jeunes amoureux sombrant dans l’héroïne. Et ce décor épuré, d’ombre et de lumière, magnifiquement filmé, devient le théâtre solaire d’une pièce à feu doux qui explose avec l’arrivée des parents de Jo, le jeune allemand venu faire DJ avec ses créations musicales numérisées.
Et même si la trame de ce conte philosophique est parfois un peu visible, cette interrogation sur le rapport de chacun à son histoire comme condition de sa liberté, s’inscrit entre un indicible passé et un impossible amour…
Gérard Poitou
“Amnesia” un film de Barbet Schroeder 1 h 36
avec Marhe Keller, Max Riemelt, Bruno Ganz