“Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens”
Octave Mirbeau
Après l’adaptation au cinéma du roman d’Octave Mirbeau par Renoir et Buñuel, la version de Benoit Jacquot est de loin la plus fidèle à l’œuvre littéraire, tant dans la forme que dans l’esprit. Seule concession à une certaine modernité, une caméra très mobile qui louvoie entre les personnages donnant un coté documentaire pas forcément très convaincant.
La forme du journal est respectée avec un scénario qui enchaine des séquences sans lien temporel justifié, laissant ouvertes certaines situations, sans réponse pour le spectateur. Le tout est baigné dans un soin du détail réaliste, rien ne manque aux costumes comme aux accessoires d’un univers de vie de province du XIXième, scrupuleusement reconstitué.
La condition des femmes employées dans les maisons bourgeoises est décrite dans toute sa turpitude, à une époque de réglementation sociale quasi inexistante, et Mirbeau y voyait la justification d’un pessimisme sociétal en décrivant non seulement l’avilissement d’une victime, seulement capable de bougonner comme le fait Célestine (Léa Seydoux), mais surtout la capacité de cette dernière à reproduire cette servitude dès que l’occasion lui en est offerte (ou à se faire le colporteur d’idées d’extrême droite antisémite, comme le fait le maugréant jardinier joué par Vincent Lindon)
Reste qu’à trop respecter la lettre du roman, le décalage historique du pamphlet réquisitoire de Mirbeau contre les mœurs d’une bourgeoisie puritaine, qui faisait du personnel de maison un esclavage du corps et du sexe, tend à n’être plus qu’une caricature contemporaine de cet univers. Le jeu plutôt surchargé des acteurs contribue à enfermer le film dans un discours suranné, et il me parait difficile, comme le font “Les Inrocks” de voir dans ce film la dénonciation “des systèmes conçus par les possédants au seul service de la perpétuation de leurs privilèges”, d’en faire en quelque sorte un film de lutte des classes, ce qui pour le coup, n’était pas le propos d’Octave Mirbeau.
Gérard Poitou
“Le Journal d’une femme de chambre” réalisation Benoit Jacquot 1 h 36
avec Léa Seydoux, Vincent Lindon
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