“Mange tes morts” – en avant première aux Carmes (Orléans)

mange tes morts

Avant-première du film de Jean Charles Hue (en présence du réalisateur)

Jason Dorkel, 18 ans, appartient à la communauté des gens du voyage. Il s’apprête à célébrer son baptême chrétien alors que son demi-frère Fred revient après plusieurs années de prison. Ensemble, accompagnés de leur dernier frère, Mickael, un garçon impulsif et violent, les trois Dorkel partent en virée dans le monde des « gadjos » à la recherche d’une cargaison de cuivre.

>Mercredi 3 septembre à 20h –

Séance suivie d’une rencontre avec le réalisateur. En partenariat avec Ciclic

Cinéma des Carmes 7 rue des Carmes 45000 Orléans

La critique du Monde :

« Mange tes morts » : 
entre la voie de la raison et une vie de risques, Fred pétarade rageusement

C’est l’un des titres de cette Quinzaine qui restera durablement gravé dans la mémoire des spectateurs. Déjà, en 2011, le premier long-métrage de fiction de Jean-Charles Hue, La BM du Seigneur, fut un sacré choc. L’histoire de Fred, 120 kg à vue de nez sur la balance, membre de la communauté fière et batailleuse des Yéniches (fief nordiste, origine mystérieuse, apparentés aux gens du voyage), hésitant entre la lumière évangélique et le cambriolage nocturne. Une puissante cylindrée de marque allemande le narguant depuis le jardin d’un notable sera cause, in fine, de la chute terrestre de Fred (que du lourd, mais avec la grâce), et de sa mise au trou.

Jean-Charles Hue a commencé à fréquenter cette communauté de longue date comme vidéaste et plasticien. Son passage à la fiction se fait donc sur une base de partage avec ses modèles, dans un mélange proprement sidérant entre la chronique documentaire et le bon vieux film noir.

Mange tes morts reste fidèle à la méthode, et reprend même le canevas du précédent pour se lancer. On va dire, allez, que quinze ans ont passé, que dans l’ellipse Fred a purgé sa peine, et que le film commence quand il sort de prison. Cette sortie, Jean-Charles Hue ne la montre pas, comme il eût été attendu. A la place, il filme en une succession de travellings pétaradants deux jeunes à moto filant dans les champs, chassant le lapin. Au guidon, Moïse, le cousin de Fred, à l’arrière, carabine à la main, le jeune Jason, demi-frère de Fred. Une façon d’introduire d’emblée l’enjeu du film, qui verra Jason devoir choisir, à la veille de son baptême évangélique, entre la voie de raison incarnée par son cousin et ange gardien Moïse, et celle du grand défi incarné par l’ange noir, Fred.

FAÇON RODÉO

Quelques plans plus loin, Fred déboule dans le campement façon rodéo, désertant dans un nuage de poussière la voiture qu’il conduit pour apparaître, au raccord suivant, dans le dos de ses frères. Trois enseignements dans cette coupe entre deux plans. Fred est un as du volant. Son apparition tient de la théophanie. Et non, comme le lui fait remarquer l’oncle furibard (« T’es toujours pas oxygéné du cerveau »), il n’a pas changé. Il serait même plus énervé qu’avant, plus avide de barbaque grillée et de bières sifflées au litre, plus assoiffé de virées nocturnes et viriles, plus impatient d’en découdre avec la vie. En un mot, après quinze années de retenue, le monstre est lâché. Entre ce frère revenu telle la fatalité déchaînée mais flamboyante du destin gitan et le cousin Moïse en dieu lare protecteur, le jeune Jason devra se déterminer.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Fred les aura fait monter dans la bagnole, avec Mickaël, le troisième frère au scorpion tatoué, qui voit le retour furieux de l’aîné d’un œil suspicieux. Personne, cela dit, ne refuse la virée qu’il propose. Il est vrai qu’au programme il s’agit tout au plus de retrouver un troquet où les frites étaient croustillantes il y a quinze ans. Le troquet, c’est Godot. On n’en verra jamais la couleur. En revanche, celle le la BM chouravée il y a quinze ans à un médecin et soigneusement planquée, si. Avec un moteur d’Alpina qui rugit de plaisir et des yeux de verre plein le coffre, histoire de rappeler que cette bagnole a quelque chose d’une tombe et que dedans l’œil regarde encore Caïn.

La suite est une course aveugle dans la nuit, un rendez-vous avec le destin, un cri de rage jeté voluptueusement à la face du ciel. Tout cela filmé à fond la caisse et au ras du bitume, au plus près de personnages, en plans-séquences, le regard parfois chaviré vers l’insondable obscurité du ciel. Une histoire d’hommes et d’accomplissement, de défi et de courage, de fureur et de stupidité. Une histoire, aussi bien, de fidélité à ce que l’on est, à une vie de risque et de mouvement, quoi qu’il en coûte, quoi qu’on en pense. C’est toute la beauté du film : montrer le prix de la liberté.

Jacques Mandelbaum 

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