"Bird people": Un bel élan d’envol

Deux êtres que tout oppose, deux vies, deux overdoses, deux trajectoires en parallèle, perdus comme en transition, ont grand besoin d’évasion…

Parfois on se trouve à côté les uns des autres et on ne se voit pas. Parfois on laisse échapper de nous-même un détail. Parfois on le fait exprès. Parfois c’est malgré nous. Signe d’amour, bouée de secours, possibilités, murs de la réalité. Quand le vide nous appelle et que l’on fait de notre vie une échappée belle.

Audrey et Gary ne veulent plus être dans un « état végétatif » permanent.

Impossible de se croiser et pourtant…

Là où l’un plonge entre errance et mutation, paralysé, cherchant à contrôler la situation, à la conquête d’un nouvel état que personne d’autre que lui-même ne brisera, cette autre, semble égarée dans un âge fragile, sensiblement instable.

Deux symboliques, deux états magiques. Deux renaissances que plus rien n’arrête. Durant une nuit faite de charmes égarés et de conjectures, ces deux âmes vont commencer leurs réécritures. Chacun va réinventer son existence. Afin de faire d’eux-mêmes un terrain neuf, un endroit où le bien et le mal s’affrontent, un souffle, un mystère. Décoller dans l’imaginaire. Très haut et très loin d’un quotidien épuisant et écrasant.

Lui 

 bird people

 

Plongé dans une douteuse éternité, Gary ne peut plus échapper à sa vie. Dans la nuit cathartique et transitoire qui se fige et l’engloutit dans une sombre angoisse, il se retrouve entre hier et demain, entre peur et question, mélangé à la tristesse d’être humain. Tout lui semble néfaste, comme si les prières qui définissaient son identité s’étaient-elles mêmes retournées contre lui. C’est alors que, piégé, en pièce, en brouillard, en morceaux… il comprend avec terreur que, s’il ne peut pas s’asseoir un moment avec lui-même et ses bribes de problèmes, s’il ne peut pas ramasser ses morceaux, afin de les assembler dans un ordre nouveau, il deviendra fou.

Parce que le monde ne s’arrêtera pas pour lui. Et c’est sans aile, qu’il s’octroie le droit à une naissance nouvelle.

Elle 

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Dans un âge instable, ni triste, ni joyeux, complexe et merveilleux, où tout est encore possible, Audrey sillonne les couloirs de son existence par procurations. Accablée et recluse à un simple rôle de femme de chambre, suivant les mêmes gestes techniques, quotidiens, et sans grand intérêt, elle semble être coincée dans cet espace, sans temps réel, de son esprit. Vagabondant à travers d’autres vies, dans l’attente d’exister intégralement pour elle-même.

Sublimer la brutalité :« Je ne supporte plus cet état de guerre permanent. »

C’est entre fatigue et chagrin, angoisse de demain, fuite et départ, nuit et envol, que bec et ongles, nos deux protagonistes vont évoluer jusqu’à devenir de merveilleux « bird people ».

Là où la violence de l’existence peut être dure et complexe à la fois, Pascale Ferran n’en fait pas une sentence, très loin de là. Changer sa trajectoire habituelle peut être très violent. Comme un oiseau échappant aux griffes aiguisées d’un félin très mignon, ou le crash de deux voitures ou d’un avion. Rompre avec ses mœurs est très brutal, mais la réalisatrice traduit avec excellence cette férocité absolue à travers la douceur amère d’un voyage en plein air.

 

Parce qu’il est des fois où la vie, par un agencement d’événements obscurs et éblouissants, que l’on considère encore longtemps après sa fin, devient hors norme et impénétrable. Presque redoutable. Et c’est tout en trouble, à demi-maux, comme marchant dans les flaques d’eau, que la brutalité de la réalité est délicieusement sublimée.

Une renaissance en haute voltige : « Vous avez perdu les chaussures… like Cinderella. »

Périlleux et pourtant, un grand bravo à la réalisatrice qui triomphe de ce terrain d’existence insensé, en valorisant douceur, beauté, et férocité grâce à un épisode fabuleux. En effet c’est entre mutation et renaissance qu’elle fait de cette œuvre une belle prouesse de bravoure.

Il y a un moment très rare, où l’existence se fait mystérieuse. Une sorte d’émerveillement confondu au respect qu’exige le sacré. Le cinéma. C’est étrange. Ce phénomène. Être ici. Là, enfermé dans une salle, avec des inconnus, avec soi-même, avec ces fragrances de vies que nous contemplons sans avoir vu. C’est beau. Mais c’est étrange. Cette façon de se rassembler dans le silence et le noir, et de s’asseoir, un moment. Se rassembler soi-même juste quelques temps. Et regarder d’autres existences interagir les unes entres elles, comme Audrey le fait dans cet hôtel. C’est plein de mystères. Un peu comme c’est étrange d’utiliser le même mot, pour signifier une chose et son contraire.

Ils survivront. Comme vous et moi. Comme Cinderella. Parce que parfois, survivre à soi-même… c’est aussi simple que de fermer les yeux, que de se cogner contre un inconnu, ou bien de marcher pieds-nus.

Ana Elle

 

Drame réalisé en 2014 par : Pascale Ferran

Avec : Josh Charles, Anaïs Demoustier, Roschdy Zem

Date de sortie : 04 juin 2014

Ce film est dans la sélection “un certain regard” du Festival de cannes 2014

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