C’est un film terrifiant ! Son esthétique d’abord, une image noir et blanc presque carré, qui concentre le regard dans un espace sans échappatoire, décadrant les personnages au bord de l’image comme des objets ciselés par une lumière frontale, la bande-son est minimaliste et seule la musique jazz et classique ont une réelle présence. Très vite le malaise pour ne pas dire le mal-être s’installe. L’exotisme de cette Pologne des années soixante nous envahit par sa tristesse et son dénuement.
Et puis il y a ce terrible secret, cette vérité impossible à dire dans les années de plomb du communisme, l’horreur du massacre nazi (six millions de Polonais dont trois millions de juifs polonais) imprégnant de son odeur toute la vie polonaise. Où trouver la réponse ? Certainement pas dans la vérité officielle du parti communiste, inféodé à l’Union Soviétique, elle aussi bourreau du peuple polonais. Reste alors la religion, aliénation expiatoire de la folie criminelle humaine… Et si seuls “les morts peuvent enterrer les morts”, faut-il renoncer définitivement à la vie et à l’amour en choisissant le silence du couvent ?
On ne peut s’empêcher de penser au film “Shoah” de Claude Lanzmann qui donnait la parole à tous ces témoins polonais anonymes comme le chauffeur de la locomotive de Treblinka, témoin et/ou victime et/ou complice des crimes nazis. Ida est une forme de mise en fiction de “Shoah” qui nous raconte dramatiquement le secret de l’histoire de la Pologne et de son impossible amnésie.
La quête de la tante Wanda, apparatchik minée par l’alcool et sa nièce Ida, orpheline juive devenue nonne, les confrontera à un passé mortifère, et la rencontre avec le jeune saxophoniste, symbole d’une nouvelle génération polonaise, ne leur donnera pas la force de s’en libérer…
On ne ressort pas indemne de ce beau film qui touche les tréfonds de l’âme humaine !
Gérard Poitou
Réalisation: Pawel Pawlikovski 1 h 19