Jean-Claude Barny, à travers son film “Fanon”, propose des pistes de réflexion sur le colonialisme

Jean-Claude Barny, réalisateur du film Fanon, est venu à Orléans mardi dernier. Il était invité pour une projection débat au cinéma des Carmes. La salle était pleine, les questions du public nombreuses et pertinentes. L’occasion de revenir sur une période tabou de la France ainsi que sur les conséquences, toujours actuelles, de la colonisation. 

Jean-Claude Barny, au Carmes, répond aux questions sur la projection du film Fanon. Crédit : Jeanne Beaudoin.
Jean-Claude Barny, au Carmes, répond aux questions sur la projection du film Fanon. Crédit : Jeanne Beaudoin.
Par Jeanne Beaudoin. 

Rappelons que le film « Fanon » retrace le parcours de Frantz Fanon, psychiatre martiniquais, lors de son passage en Algérie en tant que chef de service à l’hôpital de Blida dans les années cinquante. Dans un contexte où l’Algérie se bat pour son indépendance, ce biopic revient sur les engagements anticolonialistes et antiracistes de Fanon. Les premières réactions du public furent ainsi de féliciter le réalisateur : “Merci beaucoup pour cette œuvre extraordinaire. En tant que petit fils de résistant algérien, c’est aussi sa mémoire que vous honorez en mettant à jour les récits de ces héros“, affirmait une personne du public. 

Pourquoi avoir choisi cette partie de la vie de Fanon ? 

La vie de Fanon est riche en rebondissement. Il est né et a grandi en Martinique. Puis s’est battu, lors de la seconde guerre mondiale, pour la France. Mais il n’a eu aucune récompense, contrairement par exemple aux soldats blancs de la Creuse qui n’étaient même pas partis au combat. Il devient par la suite psychiatre, puis se positionne comme figure antiraciste, notamment à travers son essai “Peau Noire, Masque Blancpublié en 1952. Cependant, Jean-Claude Barny a décidé d’axer son film sur les huit dernières années de la vie de Fanon : lorsqu’il arrive en Algérie et jusqu’à sa mort, où il y sera d’ailleurs enterré. 

Selon Jean-Claude Barny, cette période est structurelle dans la vie de Fanon parce qu’à travers le prisme du peuple algérien, Fanon y a “rencontré son miroir“. Effectivement, en tant que martiniquais, il est aussi originaire d’une colonie française. Si le film se déroule en Algérie, il pourrait se passer dans n’importe quelle autre colonie française, puisque les mécanismes de la colonisation sont les mêmes. “Ce film reprend une thématique qui me cherche depuis mon adolescence : la question de la race dans un milieu cosmopolite”, poursuit-il. Pour réaliser ce film et accéder à Fanon, il explique avoir “commencé avec la race et fini avec l’être humain“. Ce film participe à la décolonisation de la pensée et montre ainsi la souffrance qu’entraine la colonisation. Ici, celle des algériens, de Frantz Fanon ou même de l’armée française.  

La mangrove comme invitation à entrer dans un nouvel univers

On peut voir à plusieurs reprises l’image d’une mangrove ainsi que celle d’un crabe. Si l’image du crabe évoque pour certain-es, sachant que Fanon est mort d’une leucémie foudroyante à 36 ans, l’analogie de son cancer. D’autres imaginent le pincement du crabe comme une prise de conscience du monde qui l’entoure. Jean-Claude Barny, amusé, revient sur ces images. Il explique qu’elles sont un moyen de rappeler que Fanon n’est pas seulement un militant algérien, mais aussi un martiniquais. Le réalisateur, également martiniquais, explique : “Chez nous, la mangrove et le crabe sont deux éléments qui sont très fort.” Cette symbolique est une porte d’entrée pour le spectateur, une invitation à quitter ce qu’il connaît pour entrer dans un autre univers : l’esprit de Fanon. La mangrove se positionne comme univers parallèle pour capter l’attention du spectateur, le crabe comme son rapport avec l’inconnu.

Le militantisme exacerbé de Frantz Fanon aurait-il été aussi poussé sans la présence de sa femme ? 

Josie Fanon est la femme de Frantz Fanon. Alors qu’elle a souvent été invisibilisée, Jean-Claude Barny lui a donné à travers son film une place importante. Il explique avoir rencontrer leur fils, Olivier Fanon, afin de lui partager son projet de film. Mais celui-ci, contre toute attente, lui aurait surtout parlé de sa mère. Il ne voulait pas qu’elle soit effacée, il souhaitait qu’on la replace dans la vie de Fanon. A partir de là, le réalisateur a repris ses recherches et a décidé de développer le personnage de Josie. 

Alors à la question posée par le public “le militantisme exacerbé de Frantz Fanon aurait-il été aussi poussé sans la présence de sa femme ?”, Jean-Claude Barny répond que, bien qu’il ne puisse pas répondre factuellement, “il est évident que s’ils étaient ensemble, c’est parce qu’ils avaient tous les deux le même militantisme“, explique-t-il. “Après est-ce que Fanon serait devenu Fanon sans Josie, je ne sais pas. Je pense que c’était un couple très soudé, c’est un grand homme, une grande femme et il fallait qu’on le dise et qu’on les montre à l’écran“. 

La diffusion du film a-t-elle été ralentie ? 

Jean-Claude Barny est également revenu sur la difficulté à diffuser son film. “Des difficultés classiques” que connaissent tous les films d’auteur selon lui. Cependant et parce qu’il fait sens dans le cinéma d’aujourd’hui, son film “touche un bien plus large public que ce qu’il aurait du toucher” explique-t-il. Si les MK2 ne l’ont pas diffusé, ce ne serait pas par boycott mais parce que la semaine du 2 avril était particulièrement encombrée, avec de nombreuses sorties. Cela serait ainsi plutôt du à un encombrement des salles qu’à un choix politique, bien qu’il affirme ne pas comprendre ce choix. Myriam Djebour Ferry, directrice culture du cinéma des Carmes, affirme qu’il n’y a pas eu de boycott ou de censure sur le film Fanon, contrairement aux films Voyage à Gaza, No Other Land ou encore Personne n’y comprend rien sur l’affaire Sarkozy. 

“Fanon”, un film toujours d’actualité

Ce film rappelle ce qu’il se passe à Gaza, ainsi que tous les conflits qui sont toujours actuel à travers le monde. Jean-Claude Barny explique avoir fait ce film pour prévenir toutes les personnes qui ont aussi leurs parts de responsabilités dans ces conflits. “C’est horrible de voir que l’histoire ne se suffit pas à elle-même“, confie-t-il. Ce film permet de remettre sur le devant de la scène la question de la colonisation française. Montrer qu’elle fait toujours partie du système car, bien qu’à la surface elle ait l’air de disparaître, il y a toujours “des manifestations commerciales ou de domination, qui font qu’il y a encore des pressions exercées pour qu’il y ait un système de rentabilité sur les états coloniaux“. Ce film participe ainsi à amener le public à réfléchir, à comprendre où on en est aujourd’hui. 

Plus d’infos autrement : 

Revenir sur les crimes coloniaux commis par la France à travers le regard de Frantz Fanon. 

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    • matin 10°C
    • après midi 22°C
  • mardi
    • matin 12°C
    • après midi 23°C
Copyright © MagCentre 2012-2025