La polémique enfle depuis quelques jours à Orléans, en ces temps de trumpisme triomphant et d’hanounisation des esprits. Le point de départ ? La Mairie qui décide de programmer un spectacle de Dimitri Casali le 29 avril prochain, spectacle dont le thème est l’Histoire de France en chansons.
Par Joséphine

La Liberté guidant le peuple Delacroix Eugène (1798-1863). Paris, musée du Louvre. RF129.
Très vite, opposition de gauche, syndicats d’enseignants et spécialistes universitaires réagissent et alertent la presse, d’autant plus que la programmation en question est à destination du jeune public. Mais pourquoi une telle crispation ? En fait, Casali n’est pas un inconnu ou un artiste consensuel : militant très marqué à droite, ses spectacles à connotation identitaire sont loin de faire l’unanimité. Refusant de répondre sur le fond, la droite Grouard a préféré jouer la surprise – « les bras m’en tombent » – et sortir les violons habituels : il s’agirait d’un buzz porté par l’extrême-gauche dogmatique woke adepte de la cancel culture qui déteste l’enthousiasme bon enfant.
Allons au fond
La presse ayant déjà couvert la polémique et la communication municipale, il est question dans cet article-patchwork du fond, justement. On laisse de côté la facilité des considérations esthétiques sur la qualité de la musique, des costumes, de la scénographie et de la prestation, chacun ses goûts au fond. On laisse tomber aussi les analyses savantes et les interprétations sur l’inconscient politique qui transparaît dans le spectacle. On va juste laisser parler Casali et considérer son discours public, histoire que chacun.e se fasse son avis sur cette personnalité invitée par la droite orléanaise à quelques mois des municipales, en ouverture des fêtes Johanniques.
Mais qui es-tu Dimitri ?
« Un parcours de prof à Saint-Cloud comme en ZEP, à Cergy-Saint-Christophe, où il reconnaît avoir « beaucoup reçu de ses jeunes élèves beurettes et africaines », d’auteur d’ouvrages sur l’enseignement de l’Histoire, d’essais et, plus inattendu, de… musicien rock » Biographie sur le blog de Casali (https://dimitricasali.fr/decouvrez-dimitri-casali/)
La France en chantant
« La nuit, Dimitri Casali se transforme. Il prend les allures d’un rocker chantant les faits et bienfaits de Saint Louis, Jeanne d’Arc ou Henri IV, sans oublier, dans son élan, la France heureuse du Second Empire ! Le public est invité à se lever à la « Marseillaise », à scander la devise de Louis XIV ou à se déhancher sur le tube repris en chœur célébrant le Front pop, pop, populaire ! Car ici, l’Histoire est un bloc, ni de droite, ni de gauche (…) Alors que les lumières s’éteignent et que la fumée se dissipe, sur scène apparaissent nos troubadours des temps modernes qui se sont jurés – un pour tous et tous pour un – de nous faire aimer la France et, pour cela, de nous la faire chanter. À la batterie, un chevalier sous son heaume. Au piano, un pair de France. À la basse, un Templier. Au chant, un trio formé de Joséphine en impératrice, François Ier en lunettes noires et culotte bouffante, d’Artagnan brandissant son micro. À la guitare, enfin, le créateur et animateur de cette troupe à l’allure insolite : un grognard de l’Empire qui n’est autre que Dimitri Casali (…) Un joyeux florilège à l’esprit bon enfant assumé dont le public présent sortira réjoui, ragaillardi, surpris de chanter debout un « Montjoie ! Saint Denis ! » Critique du spectacle sur https://www.bvoltaire.fr/bonne-nouvelle-avec-historock-repasser-ses-lecons-en-chantant/
Le Hussard noir
« En tant que professeur d’histoire en Zone d’éducation prioritaire, c’est là que j’ai inventé cette nouvelle méthode pédagogique pour éveiller la curiosité des élèves et leur donner l’envie d’en savoir plus (…) Je suis un ardent défenseur d’un récit national fédérateur et d’une chronologie basée sur nos deux héritages. (…) il n’est pas si difficile d’expliquer aux enfants que la France d’aujourd’hui est basée à la fois sur un héritage monarchique et chrétien dont il faut être fier et jamais le renier et sur un héritage républicain et laïc. C’est l’équilibre de ses deux principes qui fait notre spécificité (…) Pour conforter notre approche ludo-éducative, nous avons choisi la veine comique (…) il faut arrêter avec la lecture culpabilisante dans les manuels scolaires et aussi dans tous les médias. Les chaînes publiques diffusent une histoire systématiquement à charge comme la dernière émission de France 3 sur les colonies françaises « Conquérir à tout prix…» ou la série sur France 2 « l’École de la vie » (…) Les grands personnages sont négligés car ils sont assimilés aujourd’hui au culte de la personnalité dans une école pédagogiste empreinte d’idéologie et bien souvent encore, de marxisme. L’Éducation nationale est le dernier domaine où le marxisme est encore prégnant ». Interview de Casali sur https://www.lefigaro.fr/vox/culture/historock-un-spectacle-pour-rendre-le-gout-de-l-histoire-de-france-aux-jeunes-20220128
Aux grand hommes, la patrie reconnaissante
« Napoléon III est méconnu, il a par exemple donné le droit de grève aux ouvriers en 1864. Quant à la Commune, c’est une vaste supercherie : trois mois seulement dans notre histoire, et des pages entières dans nos manuels, qui évitent de préciser que cette insurrection comptait pas mal de fous furieux qui voulaient éradiquer les racines de la France. Enfin, Bigeard est un vrai héros, qui a combattu les nazis, a mis son épée au service de la République, avant de finir général et ministre, tout en ayant le mérite de reconnaître ses erreurs. Et on lui a fait l’offense de lui refuser le droit d’être enterré aux Invalides ! C’est ignoble ! (…) L’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, qui libérait les esclaves en leur faisant toucher le drapeau français ! Voilà des images fortes qui parleraient aux enfants, bien plus que d’étudier l’empire africain Monomotapa, comme c’est le cas en cinquième (…) Je souhaite simplement rééquilibrer l’histoire enseignée dans nos écoles. Il existe un terrorisme de la pensée, notamment à travers les lois mémorielles, qui veut nous faire croire que les Français ont été d’odieux esclavagistes au XVIIIe siècle, d’infâmes colonialistes au XIXe et des collabos au XXe (…) l’autoflagellation permanente fait des ravages dans la jeune génération. L’histoire de France fout le camp ! (…) Depuis une trentaine d’années, les bons sentiments communautaristes et altermondialistes lessivent notre histoire. Sous prétexte de favoriser le “vivre ensemble”, on occulte tout ce qui pourrait contrarier certaines communautés. Une étude compassionnelle des problèmes – les droits de l’homme, l’esclavage, les faits religieux – remplace l’analyse sereine des faits (…) Le goût de l’effort ne gêne pas les pays asiatiques qui trustent les premières marches du podium des meilleures universités du monde. Quels sont les héros des jeunes aujourd’hui ? Des stars, des joueurs de foot… Alors qu’ils ne connaissent pas les grands noms de ceux qui ont bâti la nation ! Quelle dérision ! » Interview de Casali sur https://www.lepoint.fr/culture/dimitri-casali-france-ton-histoire-fout-le-camp-20-09-2014-1864944_3.php
Morceaux choisis
« Il faut former et entretenir nos forces mentales et être fiers de notre armée. Certes une défense européenne est à terme indispensable, mais la France ne doit pas céder aux sirènes d’un pacifisme naïf, qui réjouit les ennemis de la démocratie partout à travers le monde. Glorifier l’armée, qui seule est capable de verser le prix du sang, symbole de l’âme d’un grand pays au regard de l’histoire, n’est pas du nationalisme : c’est du simple bon sens patriotique quand on connaît peu l’histoire de notre planète » (…) « l’individualisme démocratique actuel, tout à sa passion de l’égalité et du nivellement, répugne à la grandeur » (…) « l’ENA émascule le style ».Casali Dimitri, L’Histoire de France interdite. Pourquoi ne sommes-nous pas plus fiers de notre histoire ?, JC Lattès, 2012
Et alors ?
Pour conclure cette délicate balade à l’arrière-goût de Puy-du-Fou, autant garder le concept jusqu’au bout en continuant à laisser la parole… d’autant plus que ce court extrait du Monde de fin 2016 est tout à fait éclairant et à propos. Il permet même de boucler la boucle en mettant en évidence le lien intellectuel entre Dimitri Casali et François Fillon, dont Serge Grouard fût l’un des lieutenants lors de la campagne pour la présidentielle 2017, dans un contexte, souvenez-vous, de libération de la parole réactionnaire portée par la première campagne de Trump, également en 2016.
Et on ne sera donc pas surpris de constater, presque 10 ans plus tard, que le spectacle pour enfants de notre « troubadour moderne » a été essentiellement programmé dans des villes tenues par des LR bon teint (Aslangul, Dainville, Juvin, Platret, Lisnard, Dati…et Grouard), quand ce n’est pas carrément par l’Ecole de guerre…
« On retrouve la même mécanique de faits alternatifs et un mépris similaire pour les intellectuels, universitaires ou journalistes et leurs “vérités officielles”, explique Jérémie Foa, historien spécialiste des guerres de religion à l’Institute for Advanced Study de Princeton. Comme Trump, il réduit les discours scientifiques à de simples opinions. Qu’importent les faits, les sources, les archives, les méthodes pour appréhender l’histoire (…) Dans la lignée des Michel Onfray, Dimitri Casali ou Lorànt Deutsch, dont le fonds de commerce consiste à démolir la recherche universitaire, soutenu par les catholiques de la Manif pour Tous opposés à la toute fantasmée « théorie du genre », François Fillon dénonce à son tour l’école comme une « instruction honteuse » dont le tort serait, à l’en croire, d’enseigner aux enfants que le passé serait « source d’interrogations ».
Le candidat [Fillon] dit aussi vouloir en finir avec « les complexes et les théories fumeuses qui ont déconstruit, chez tant de jeunes, le goût d’être ensemble, fiers d’être Français », visant en particulier l’enseignement critique du fait colonial, régulièrement assimilé à une « repentance » préjudiciable à la fierté nationale. Lui comme d’autres en appelle au « retour » d’un « récit national », confié à des Académiciens, les universitaires et enseignants n’étant à l’entendre que des « idéologues ». Désormais il semble ne plus y avoir de limites si bien que les manipulations les plus délirantes de l’histoire s’accumulent dans un silence assourdissant. » https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/02/les-manipulations-les-plus-delirantes-de-l-histoire-s-accumulent-dans-un-silence-assourdissant_5042084_3232.html
Épilogue
« Les élèves ont apprécié. Voici quelques-unes de leurs réactions : « C’est plus intéressant qu’un cours ! » ; « Cela rend l’histoire plus intéressante et amusante » ; « C’est un moyen plus moderne et plus accrocheur » ; « C’est mieux pour apprendre facilement ! » et enfin « Cela permet de toucher plus de monde ».
Compte-rendu des réactions d’enfants sur le site de Dimitri Casali https://www.historock.com/about-4-2
Youpi.
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