Tours : vous reprendrez bien un peu d’écolo-bashing ?

On voit fleurir depuis quelques jours sur les réseaux sociaux des commentaires accusant les écolos de Tours d’avoir fait couper illégalement du bois dans un autre département pour alimenter une chaufferie biomasse locale. L’œil brillant, heureux de pouvoir taper sur l’écologie et ses contradictions, cette fois sans pistes cyclables ou climato-scepticisme pour uniques sources d’inspiration, nos brillants commentateurs s’appuient sur un article du média Reporterre, un tout petit peu imprécis, qu’ils ont, du reste, mal lu. Car la réalité est plus compliquée que cela. Et pas vraiment moins désespérante.

Image d’illustration. Photo Magcentre




Par Joséphine.


Ça nous rajeunit pas

Bon, déjà, le réseau de chaleur de la Ville de Tours est le fruit de choix politiques de long terme actés à la fin des années 1960, sous Jean Royer, et amendés au cours du temps, aboutissant à des montages juridiques un peu complexes par effet d’accumulation. Ces politiques, en réalité assez consensuelles, s’inscrivent par nature dans la durée vu les sommes et travaux engagés. Et les majorités de droite comme de gauche qui se sont succédé ont même renforcé cette stratégie de chaufferies collectives pour fournir écoles, bâtiments publics et logement collectif, souvent social.

Mais le libéralisme passant aussi par là, rares sont les collectivités qui ont décidé de gérer en régie directe une politique publique de chauffage. Dès lors, pour faire des économies et ne pas avoir à investir en recherche et développement ou dans de coûteuses constructions, nos décideurs ont préféré en général passer par des contrats avec des boîtes privées spécialisées, comme cela se fait avec l’eau par exemple. Ainsi, Tours a choisi de déléguer la gestion du réseau de chaleur publique des quartiers Rochepinard, Rives du Cher et des Fontaines à Dalkia via une filiale, la SCBC-Dalkia. Et la SCBC-Dalkia achète une partie de la chaleur qu’elle distribue à une chaufferie-biomasse propriété de… Dalkia, mise en service à Saint-Pierre-des-Corps en 2014-2015. Cela permet à la collectivité d’être beaucoup moins dépendante du gaz, d’arrêter la solution au fioul et d’avoir un meilleur bilan carbone. Win-win.

Petite complexité supplémentaire, la compétence réseaux de chaleur publique ayant été récupérée par l’intercommunalité dans les années 2000, c’est en réalité Tours Métropole qui pilote le contrat de gestion du réseau avec la SCBC-Dalkia, contrat qui court jusqu’en 2032. Sauf que la chaufferie Dalkia de Saint-Pierre-des-Corps est hors de ce contrat et répond à un cahier des charges dicté directement par la Commission de Régulation de l’Énergie, une autorité étatique sur laquelle les politiques locaux n’ont pas la main.

En fait, Tours Métropole exige un cahier des charges à la SCBC-Dalkia qui doit acheter une chaleur « propre », issue d’un bois sourcé à moins de 100 km prélevé dans des forêts gérées en régénération naturelle. La SCBC-Dalkia se tourne donc logiquement vers un acteur privé capable de satisfaire les conditions imposées : Dalkia, propriétaire de la chaufferie. La chaufferie doit probablement assurer qu’elle respecte le cahier des charges de son commanditaire, mais sans avoir elle-même d’obligation envers la Métropole. Et on imagine mal la SCBC-Dalkia se retourner contre sa maison-mère Dalkia pour manquement au contrat. Ça va ? Vous suivez ?

C’est du greenwashing ma pauv’ Lucette

Il va de soi que Dalkia, filiale d’EDF depuis son rachat à Veolia en 2014, joue à fond la carte du respect du cahier des charges et se dit surprise face à la situation. Car l’entreprise dirigée par Sylvie Jéhanno, une ancienne d’EDF, met le paquet sur son image de marque follement verte pour continuer à se développer, remporter des marchés publics et aller au-delà de ses 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Toute la communication de Dalkia est même carrément tournée là-dessus : « durable, alternative, innovante, engagée, économe, smart, 4.0, responsable, en transition, prête à relever le défi du faible impact environnemental »… Bref, un vrai petit colibri.

Cela dit, la chaufferie Dalkia achète son bois à une autre boîte, la coopérative Alliance Bois Forêts, le mastodonte français du secteur avec 45 000 adhérents, 1 million d’hectares exploités et 200 millions de chiffre d’affaires. Et de toute évidence, la coopérative n’est pas réputée pour ses process. Régulièrement mise en cause pour ses réseaux d’influence auprès du pouvoir politique, ses coups de pression sur les journalistes et sa tendance à l’opacité dans la gouvernance, l’Alliance Bois Forêts est au cœur de pas mal de scandales, dont des coupes illégales de bois, ce qui semble être le cas de cet épisode touchant indirectement Tours (Métropole). Plus généralement, la coopérative est contestée pour ses pratiques, préférant replanter des arbres – essentiellement des résineux – plutôt que de laisser les forêts exploitées se régénérer lentement. Ainsi, l’approche industrielle et rationalisée de l’Alliance nuit à la biodiversité, quand elle n’est pas carrément polluante, des utilisations de glyphosate dans des exploitations afin d’améliorer la productivité ayant été souvent constatées par des associations.

Une responsabilité en copeaux

Donc voilà, Tours Métropole annonce demander des précisions à Dalkia pour savoir pourquoi le cahier des charges n’est pas respecté. À voir quelle sera la réponse apportée, même si le plus probable est que la boîte se défausse sur Alliance Bois Forêts et jure la main sur le cœur de rendre encore plus rigoureux les contrôles. À voir aussi si la DDT36, désormais au courant de l’affaire, initiera une procédure contre Alliance Bois Forêts au sujet de la coupe rase illégale.

Bien plus que la prétendue incurie écolo, c’est d’abord le capitalisme non régulé, les privatisations et concessions à gogo, les cascades de filiales et de sous-traitants et le mille-feuille administratif qui pourraient être l’objet d’une réflexion collective lors du prochain conseil métropolitain. À voir comment la droite libérale qui domine cette assemblée et toujours si prompte à développer un discours anti-étatique et anti-interventionniste, assumera les effets de ses choix politiques.

Source sur le sujet : www.lanouvellerepublique.fr/indre/commune/merigny/tours-la-chaufferie-dalkia-peut-elle-etre-alimentee-par-du-bois-issu-de-coupe-rase


Plus d’infos autrement :

Tours : à un an des élections, un conseil municipal électrique

 

 

Commentaires

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  1. Heureusement qu’il y a MagCentre pour démonter les intox minables d’une droite tourangelle minable et dont la vacuité laisse toute la place à des querelles picrocolines …

  2. Merci pour cet article qui nous éclaire sur cette situation. Ce procès d’intention paraissait bien surprenant…et on se doutait mal intentionné.

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