Une jeune réalisatrice lituanienne, Saulė Bliuvaitė, sort un film esthétiquement impressionnant sur deux jeunes filles ados rêvant d’un ailleurs bien meilleur. Elles essayent de postuler comme mannequins, et acceptent de véritables tortures physiques pour s’évader de cet environnement d’une noirceur outrée. Beau travail esthétique, qui pourtant ne dénonce rien.

Vesta Matulyte (Marija) dans un plan frontal largement utilisé par la réalisatrice. Capture bande annonce.
Par Bernard Cassat.
Saulė Bliuvaitė installe son film dans un paysage déserté et industriel. Et en rajoute sur l’ambiance. Comme dans cette scène fondamentale où Marija essaie de récupérer son jean que Kristina lui a subtilisé et porte sur elle. Un bout de rue bordée de murs de briques sales, des flaques et un goudron pas très frais, tout cela sous la pluie. Elles se roulent par terre, premier contact violent comme l’image, qui va se transformer en amitié. Tout le film se déroule dans ce quartier de bidonville moderne. Des maisons certes en dur, mais pas vraiment accueillantes, dispersées dans ce paysage industriel. Il y a tout : un énorme transformateur électrique devant lequel le groupe d’ados va jouer. Et pour faire plus beau, Saulė a rajouté des carcasses de voitures, trop belles dans l’image pour faire vrai. Certes on n’est pas dans un documentaire, mais tout de même… On verra aussi une usine à gaz d’un autre âge, une immense cheminée rouge et blanche qui domine tous les extérieurs, un trou d’eau proche de l’égout où malgré tout, les filles se baignent. Tout cela est très beau à l’image, dans des lumières travaillées, souvent sombres, dans des cadrages impeccables et originaux, avec un style personnel affirmé.

Devant le transformateur électrique. Capture bande annonce.
Les personnages collent au décor. Côté Marija, elle vit avec sa grand-mère qui s’occupe de fleurs et qui est aussi guérisseuse. Elles semblent avoir un drôle de rapport. Côté Kristina, elle vit avec son père qui la vire de la maison pour ses ébats avec son amie. Et puis il y a les voisins, des nains et une fille immense. Tout est assez bizarre.

L’entrainement à la marche des mannequins. Capture bande annonce.
Dans cette ambiance d’abandon social, toutes les séquences dans l’école de mannequinat tranchent dans leur esthétique au carré. Images parfaitement ordonnées, jouant sur la symétrie, bien éclairées. Corps de jeunes filles travaillés autant à l’image que dans l’histoire : mesurés, comparés, photographiés. Et torturés. Elles se font vomir pour ne pas grossir. Kristina va même jusqu’à ingérer un germe de ver solitaire qui la rendra malade. Tout cela pour partir. C’est leur grand rêve, formulé d’ailleurs par le père de Kristina. Il lui dit de s’en aller ailleurs, et l’aide même financièrement. D’où leur désir d’être prise comme mannequin, pour aller à Paris, au Japon… Mais cette école de mannequinat, en plus des tortures physiques qu’elle fait subir aux candidates, est une affaire bizarre et pas très nette. Sans doute une arnaque financière.

Une soirée entre garçons et filles. Capture bande annonce.
Les rencontres entre garçons et filles sont elles aussi sur le même mode. Rudes, dans des conditions difficiles, alcoolisées. Avec des lieux de rencontres frisant eux aussi la canche. Et finalement, pour les deux ados héroïnes du film, pas très importantes. Le traitement de ces séquences, la nuit, au bord du fleuve, participent à l’esthétique du film. Beaux clichés mais mystérieux et difficiles à déchiffrer. En tout cas, ils n’apportent pas de réflexion sur ce qui se passe, n’indiquent aucune position critique, aucun commentaire possible. C’est aussi la position de la réalisatrice pendant tout le film. On ne sent ni sympathie, ni rejet, ni empathie ni regard critique. Juste un exercice brillant de cinéma qui ne définit jamais son rapport à la réalité. La Lituanie n’est certainement pas entièrement comme ce qui est montré !

Les corps des jeunes filles, omniprésents dans le film. Capture bande annonce.
Les deux ados devenues actrices, Ieva Rupeikaite (Kristina) et Vesta Matulyte (Marija), sont magnifiques, dans des scènes complexes intellectuellement et difficiles physiquement. Elles expriment ces personnages pourtant peu enclins aux épanchements. Leurs visages, leurs corps parlent. Elles deviennent vraiment comédiennes devant la caméra.
Pour son premier long métrage, Saulé Bliuvaité convainc sur son inventivité de réalisatrice. Mais le scénario, qu’elle a écrit seule, est vraiment très dur. La recherche de la perle visuelle dans les égouts par trop prégnante. Ça tue la portée de son film, alors que plein de pistes abordées semblaient intéressantes à développer. Elle se complait bien trop dans le sinistre, même dans le glauque. L’histoire en perd de la force. Mais cette jeune femme est manifestement une cinéaste à suivre. Ce premier opus ouvre une voie, c’est certain.
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