« Les moins riches, ils n’ont pas de voitures », voici typiquement le genre de mots qui, en d’autres temps, auraient valu une nuée de Gilets jaunes aux ronds-points. Car cette phrase d’Agnès Pannier-Runacher, aux relents de mépris de classe, réveille le souvenir d’une crise sociale majeure, que l’actuelle ministre de la Transition écologique semble avoir oubliée. Petite piqûre de rappel.
Agnès Pannier-Runacher – Photo Credit : Dean Calma / IAEA
Par Izabel Tognarelli.
Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres en octobre 2018 ? La bagnole. Pas celle de la ministre avec chauffeur, non. Celle du type qui se lève à 5 h pour aller bosser à 20 bornes de chez lui parce qu’il n’a pas le choix ; celle de la caissière, du cariste, de l’aide à domicile, cette voiture indispensable dans des territoires mal desservis. Ce sont eux, « les moins riches », qui ont vu rouge quand on leur a expliqué qu’ils devraient raquer encore plus pour leur plein d’essence, au nom de la transition écologique. Plus exactement, ce fut l’annonce d’une hausse des taxes sur les carburants, prévue pour janvier 2019, mesure perçue comme une double peine. Or en octobre 2018, bim ! 1,52 €, seuil symbolique dépassé, ronds-points occupés et manifs (avec de la casse) tous les samedis, pendant six mois, vous avez oublié ?
Avril 2025, où en sommes-nous ? Les tarifs des carburants sont au plus bas depuis 2021, les esprits s’en trouvent apaisés, alléluia ! Le prix du gazole n’est plus qu’à… 1,58 €. À quoi cela tient-il ? À un cheveu.
Et voici qu’on nous refait le coup avec les ZFE (Zones à Faibles Émissions) qui, on l’a compris, ne concernent pour le moment que de grandes villes, dotées de transports en commun. Pas une seule en région Centre-Val de Loire où rejoindre Orléans – préfecture de la région, mais aussi du Loiret – depuis le Giennois et le Montargois n’est pas une sinécure (une départementale très accidentogène et un service de bus certes très abordables, mais peu pratiques), au moment même où les services publics désertent les campagnes : merci le gouvernement !
N’y voyez surtout pas de défense du droit à polluer l’air : nous sommes bien contents, « à la campagne », de ne pas avoir à respirer celui du périph’. Nous avons les pesticides, l’eau polluée, que l’embarras du choix. Il s’agit plutôt de dire : attention, aux mêmes causes les mêmes effets, notamment quand le mépris de classe s’exprime par une phrase malheureuse qui pourrait se décliner en un exercice de style : « Les moins riches, ils n’ont pas de maison », ou même, franchissons le pas : « Les pauvres n’ont pas besoin de se chauffer » ; ou encore, très Marie-Antoinette « Ils n’ont plus de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! » (épisode que l’on ne voudrait pas voir revenir).
Cette histoire de ZFE est à considérer avec précaution afin de ne pas déclencher une nouvelle jacquerie qui se déplacerait vers les grandes villes. À l’époque des GJ, certains manifestants recommandaient RT et Sputnik comme sources d’information alternatives, et incitaient à la méfiance envers les médias « mainstream ». Sept ans plus tard, on sait à quoi s’en tenir du côté des ingérences étrangères, notamment par le biais des réseaux sociaux. Mais qui a le plus morflé dans la crise des GJ ? Pas les grandes villes, plutôt les zones périurbaines, sur les ronds-points, notamment le « rond-point cacahuète », du côté de Montargis, dont il était question presque tous les jours aux informations. Deux fois par jour, passer sous les regards mauvais pour aller au boulot et en revenir… C’est dans ces endroits-là que les automobilistes ont le plus morflé. Ailleurs, on a oublié, parce qu’on est passé à côté.
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