Un requiem impitoyable et magnifique

Darren Aronofsky a construit en 2000 un film autour du livre de Selby, Last exit to Brooklyn. Une descente aux enfers dans la drogue, la prostitution et les amphétamines. Une critique radicale de la consommation américaine. Et un chef-d’œuvre inventif d’images pour un film devenu culte qui ressort aujourd’hui en version restaurée.

Sara (Ellen Burstyn) compte ses pilules d’amphétamines. Capture bande annonce.




Par Bernard Cassat.


La littérature d’Hubert Selby n’est pas des plus immédiates. À l’instar de Bukowski ou de William Burroughs, il explore les affres de personnages qui se noient dans la drogue. Last Exit to Brooklyn, son premier roman et sans doute le plus fort, suit la descente aux enfers de trois jeunes accros à l’héroïne. Publié en 1964, ce texte fait un tabac malgré une condamnation générale à cause des obscénités qu’il contient, et sans doute aussi de sa désespérance radicale. Selby est l’inverse de la contestation étudiante de ces années-là, prônant les communautés heureuses et les drogues douces. Il représente la face noire et dure de la contestation américaine.

Du texte à l’image

Trente ans après la parution, Darren Aronofsky se lance pour son deuxième long-métrage dans une adaptation cinématographique. Il appelle Selby pour le scénario qu’ils vont écrire à quatre mains. Le film apparaît plus comme une œuvre autour du livre, ou s’en inspirant. Il s’articule beaucoup autour du personnage de la mère, Sara Goldfarb, une Américaine vieillissante, veuve et désœuvrée qui passe son temps devant la télé. Le début du film, dans une ambiance de quasi-comédie, la montre dans son univers de Brooklyn. Quand elle ne bronze pas sur le trottoir avec ses copines, elle passe son temps devant la télé.

Harry et Marion en pleine défonce. Capture bande annonce.


Darren Aronofsky installe avec brio le style super énergique qui va mener tout le film. Des plans rapides, des cuts intempestifs, des flashs violents accompagnés d’une musique très bruitiste de Clint Mansell font penser à des pubs. Et puis assez rapidement, l’ambiance change. Chaque shoot d’héroïne est par exemple formalisé par une brève séquence symbolisant sa réalisation. Bouillonnement du produit puis circulation de la molécule dans les veines, mais schématisées. Puis écran blanc. Avec des zips et des claps très forts. C’est une belle invention cinématographique, esthétique et efficace. Qui en rehausse le côté effrayant et destructeur.

Descente aux enfers pour tout le monde

Et tout va continuer à se détraquer. La comédie devient descente aux enfers. Mais le style du film, lui, reste dans sa ligne. Dans la première partie, des split screens, ces écrans coupés en deux, enferment et isolent les personnages. Harry qui violente sa mère inaugure le procédé. Et plus tard, une magnifique séquence d’amour entre Harry et sa copine Marion montre un décalage très léger entre la main de Harry qui caresse dans une image et Harry dans l’autre. Ils sont très proches, mais pas dans le même plan. Le décalage est sans doute aussi le vide que vient combler la drogue.

Hubert Selby himself en gardien de prison hargneux. Capture film.


Chacun va dégringoler d’une manière différente. Le rêve de Sara de passer à la télé, de devenir l’élue d’une émission épouvantable, l’obsède jusqu’au délire. Les amphètes aidant, elle voit l’animateur chez elle, elle se voit l’embrasser, elle perd pied. La réalité et les images de ses envies se confondent. Elle se fait menacer par son frigo, atteint un point de non-retour à la réalité et se retrouve à l’hosto psy qui lui administre le pire des traitements. Ellen Burstyn est admirable de bout en bout. Même quand le personnage devient minable, elle garde une aura qui la rend puissante à l’image.

Consommation, drogue et prostitution

Jared Leto dans le rôle de Harry allie fragilité d’un grand ado paumé et dureté d’un accro prêt à tout. Il aime sa mère mais ne peut s’empêcher de la trahir. Il doit aimer aussi sa copine mais l’envoie se prostituer. Avec une grande maitrise, Jared fait passer tout cela. Il monte une combine minable avec son copain Tyrone qui évidemment finit mal ; dans un supermarché Walmart, pour insister sur la consommation. Sa sortie de Brooklyn ne va pas le mener loin. Il y laisse un bras et tout espoir. Pendant ce temps Marion, sa copine, descend de plus en plus dans la pire des prostitutions. Pour quelques doses, elle accepte des soirées bestiales.

Quand Sara perd pied… Capture bande annonce


La noirceur est radicale. Plusieurs grands thèmes du livre sont laissés de côté, notamment l’homosexualité. Mais l’énergie du style et la puissance des images renvoient magnifiquement au texte. Sorti en 2000, le film est devenu culte, puis s’est perdu. Une ressortie aujourd’hui rappelle une phrase souvent entendue, « film culte mais qu’on ne veut plus jamais revoir ». Film difficile en effet, mais follement inventif.


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Un très beau regard sur des jeunes complexes et attachants

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