Revenir sur les crimes coloniaux commis par la France à travers le regard de Frantz Fanon

Le film « Fanon » retrace le parcours de Frantz Fanon, psychiatre martiniquais, lors de son passage en Algérie en tant que chef de service à l’hôpital de Blida en 1953. Pionnier des études post coloniales, ce biopic revient sur ses engagements anticolonialistes et antiracistes, dans un contexte où l’Algérie se bat pour son indépendance.

Image du Film sur Frantz Fanon
Frantz Fanon, dans la voiture, arrive à Blida en Algérie. Copyright Eurozoom


Par Jeanne Beaudoin.

Ce biopic, réalisé par Jean-Claude Barny, est récemment sorti au cinéma. Alors que les films sur l’esclavage aux États-Unis se comptent par dizaines, il n’existe que très peu de film qui dénoncent la colonisation française. Et aucun sur la vie de Frantz Fanon. Ce film inédit critique, à travers la vie de ce penseur révolutionnaire joué brillamment par Alexandre Bouyer, la brutalité et la violence avec lesquelles l’armée française s’est imposée en Algérie. Une réalité encore difficile à assumer lorsque l’on voit que beaucoup de salles françaises ont décidé de ne pas diffuser ce long-métrage.

Penseur révolutionnaire connu dans le monde entier

Connu aujourd’hui pour ses œuvres telles que Les damnés de la terre ou Peau noire, masques blancs, écrits précurseurs de la pensée décoloniale, on accède grâce à ce film au contexte dans lequel il les a rédigés. Son arrivée, en 1953 dans « l’Algérie française », se fait dans un climat de racisme. Personne ne s’attend, en le voyant, à ce qu’il soit le docteur Frantz Fanon, nouveau chef de service de l’hôpital. Mais il est intelligent, il comprend et sait décoder les mécanismes coloniaux employés par l’armée française. Il évite de répondre aux provocations, mais utilise toute sa force pour décoloniser la clinique, et participer, plus largement, aux luttes décoloniales.

Frantz Fanon est chef de service à la clinique psychiatrique de Blida. Copyright Eurozoom


Dès son premier jour, il s’offusque et s’oppose frontalement aux méthodes opérées par les Français à la clinique psychiatrique. Alors que tous les patients algériens étaient menottés et enfermés dans une cave sous prétexte qu’ils seraient « plus dangereux que les patients français », le premier réflexe de Frantz Fanon est de tous les libérer et de leur rendre ce qu’ils ont de plus précieux : leur humanité. Il organise des jeux et des activités entre tous pour replacer, sur le même pied d’égalité, ses patients algériens et français. Ses méthodes sont évidemment critiquées par ses collègues français du service, qui tentent de l’en empêcher, le surveillent et souhaitent son départ. 

Les crimes de l’armée française

En parallèle de son travail à la clinique, il s’intéresse aux luttes du Front de Libération Nationale (FLN) et devient un allié pour l’indépendance de l’Algérie. Il soigne, la nuit et dans le plus grand secret, les blessés du FLN. Il rencontre des têtes pensantes de ce mouvement qui dénoncent la violence et le racisme sans limite de l’armée française. Effectivement, les Français leur volent tout ce qu’ils possèdent, s’installent sur leurs terres. Cette situation est tout sauf démocratique puisque le vote d’un Algérien vaut sept fois moins que celui d’un Français dans les urnes. On voit, dans le même temps, des Algériens violentés ou tués sans raison.

Les français s’opposent aux méthodes de Frantz Fanon. Copyright Eurozoom


C’est sous l’influence de toute cette violence que Frantz Fanon posera les bases de la pensée décoloniale. Il demandera la nationalité algérienne et se battra pour l’indépendance jusqu’à sa mort, en 1961, soit un an avant que l’Algérie ne l’obtienne. Il y sera d’ailleurs enterré. 

Un film boycotté ?

« Ce film s’impose comme une tentative rare et précieuse de raconter un homme dont la pensée continue d’éclairer les angles morts de nos sociétés postcoloniales », explique Mathieu N’Diaye, journaliste et écrivain spécialisé dans l’anthropologie et l’héritage africain. Il s’interroge ainsi sur la France : est-elle prête à accueillir dans ses salles un discours anticolonial qui met à nu ses contradictions profondes ? Frantz Fanon reste un écrivain encore trop peu visible en France, ce film n’est diffusé que dans quelques salles, la publicité qui en a été faite reste très légère. Pourtant, Frantz Fanon est une figure majeure des luttes décoloniales. Il est connu dans le monde entier, notamment parce qu’il a théorisé les traumatismes que la colonisation a pu infliger, que ce soit sur les personnes colonisées, mais aussi chez les tortionnaires. 

Ce film, réalisé par Jean-Claude Barny, permet ainsi de redonner de la visibilité à Frantz Fanon, effacé de l’Histoire française pendant des décennies parce qu’associé à la libération de l’Algérie. Un homme dont les thèses sont toujours d’actualité, lorsque l’on voit la violence dans nos sociétés. Lorsque l’on voit la déshumanisation systémique opérée pour faire de certaines populations des boucs émissaires. « Fanon est bien plus qu’un biopic. Il est une réponse artistique à une question brûlante : qui a le droit de raconter l’Histoire ? Dans une France où les mémoires s’entrechoquent, Fanon vient poser une vérité nue : il est temps d’écouter les voix qu’on a trop longtemps étouffées », conclut avec justesse Mathieu N’Diaye.


Plus d’infos autrement : 

Vital ! : le court métrage qui raconte le parcours périlleux des jeunes exilés. 

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

  1. L’ASLA vous invite à une rencontre Débat mardi 22/04/25 à 18h30 au Cinéma Les Carmes en présence du réalisateur.
    https://www.cinemalescarmes.com/evenement/2182749-fanon
    Franz Fanon aurait eu 100 ans en 2025. Ce film, sorti le 2 avril dans trop peu de salles, merci au Cinéma Les Carmes d’Orléans de nous permettre de le voir et de le soutenir. Venez nombreuses et nombreux.
    Ce film montre l’importance de sa contribution à la psychiatrie et son engagement pour l’indépendance de l’Algérie, les 2 aspects étant intimement liés.
    Il a consacré sa courte vie à dénoncer et à combattre le colonialisme, les méfaits de la colonisation, à défendre les peuples opprimés.
    Frantz Fanon est né Martiniquais et mourut Algérien à 36 ans.
    Aimé Césaire lui rendant hommage, disait de Franz Fanon : “Et c’est pourquoi sa voix n’est pas morte. Par delà la tombe, elle appelle encore les peuples à la liberté et l’homme à la dignité.” Un homme, disait Aimé Césaire « qui vous empêche de vous boucher les yeux et de vous endormir au ronron de la bonne conscience».
    Ces paroles résonnent avec force aujourd’hui… Respect Monsieur Fanon.
    https://www.facebook.com/share/p/12GUitLneaq/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    • matin 7°C
    • après midi 14°C
  • jeudi
    • matin 8°C
    • après midi 15°C
Copyright © MagCentre 2012-2025