Comme un peu partout en France, dans un contexte d’austérité budgétaire porté par le gouvernement Bayrou, Tours et les villes voisines doivent faire face aux annonces de fermetures de classes dans les écoles primaires à la rentrée prochaine. Mairies de droite et de gauche ne semblent pas gérer cela de la même manière. Et pourtant, à un an des municipales, la question est hautement sensible.
Par Joséphine.
Cure d’austérité à l’Éducation nationale

On l’a appris fin février, alors que Rectorat et Inspection Académique (IA) préparaient la rentrée de septembre 2025 : l’heure est aux économies. Et pas qu’un peu. Pour la seule commune de Tours, les premières projections prévoyaient la fermeture de 21 classes, chiffre ramené finalement à 12. Pour l’ensemble de la Touraine, on parle d’une petite soixantaine de classes supprimées, même si d’autres seront ouvertes pour faire face aux nouveaux besoins.
« En fait, les Inspections Académiques sont en ébullition depuis l’automne dernier. Avec le retard pris sur le vote du budget, l’administration a dû jongler avec plusieurs scenarii, celui avec la suppression des 4.000 postes dans l’Éducation nationale prévue au budget Barnier et celui sans ces suppressions, issu du compromis de Bayrou avec le PS (…) Ça a produit une surcharge de travail et un stress important car les équipes gestionnaires ont travaillé dans l’urgence tout en marchant sur des œufs, les questions de fermetures de classe sont d’autant plus délicates à un an des municipales », commente un cadre syndical, professeur des écoles.
« L’Indre-et-Loire perd 650 élèves à la rentrée prochaine, c’est le résultat d’une évolution démographique de fond. Pour l’instant, l’IA ne supprime que trois postes de professeurs des écoles dans le département, l’essentiel des collègues dont la classe ferme sont redéployés ailleurs ou intègrent les équipes mobiles afin d’assurer les remplacements lors des absences des profs. Le taux de remplacement est d’ailleurs très mauvais dans le 37 », continue le professeur. « Le directeur académique des services de l’Éducation nationale en Touraine sait qu’il doit fermer en deux ans des dizaines de classes. Cette année, il la joue soft pour ne pas mettre en difficulté les maires à l’approche des municipales, mais la rentrée 2026 va être un carnage, sans même parler des économies supplémentaires demandées par Emmanuel Macron pour financer l’effort de défense européen. Les 4 000 postes non supprimés cette année, c’est un simple sursis ».
En réalité, la situation a tout du casse-tête tant les variables sont nombreuses. Dans les coins ruraux du département où les écoles comptent peu de classes, il est difficile d’en fermer. Cela aboutirait à multiplier les classes à plusieurs niveaux ou à obliger parents et professeurs à faire davantage de kilomètres chaque jour, après redéploiement « optimal » des effectifs dans des classes plus remplies. Même à Tours, cette problématique existe : les établissements du nord de la ville sont surchargés, alors que ceux du centre-ville se vident. Impossible de démonter et de déplacer les écoles, difficile de demander aux parents d’envoyer leurs enfants si loin, compliqué pour la municipalité d’envisager de financer du transport scolaire. Pire, il y a des distorsions dans les taux de remplissage des classes dans le département, et à Tours les classes sont en moyenne 10% moins remplies qu’ailleurs, d’où le choix de l’IA d’y concentrer la moitié des fermetures prévues en Indre-et-Loire.
A Tours, une gauche qui se mobilise et… des socialistes pris dans leurs contradictions
Les tensions actuelles ne résultent pas uniquement d’un pur processus administratif tombé du ministère, les municipalités sont également en partie responsables. « A Tours, pendant très longtemps, les directeurs d’école s’occupaient eux-mêmes de la répartition des élèves entre les différents établissements. Ils se débrouillaient pour avoir des effectifs assez homogènes pour éviter que l’IA n’ait l’idée de fermer une classe trop dégarnie. Mais avec l’arrivée d’Emmanuel Denis en 2020, ce sont les services administratifs municipaux qui ont repris la main sur les inscriptions afin de garantir davantage d’équité dans la répartition des élèves. Et accessoirement, ça a permis de réduire les primes versées aux directeurs qui faisaient ce travail » éclaire un bon connaisseur du dossier.
Ce dernier enchaîne : « La municipalité et l’adjoint à l’Éducation [le socialiste Franck Gagnaire, ndlr], ne pensaient pas que les fermetures seraient aussi massives aussi rapidement, surtout qu’ils avaient des relations plus étroites avec l’IA depuis quelques années et qu’une relative confiance s’était installée. Le PS croyait pouvoir capitaliser politiquement en mettant en avant les 4 000 postes de professeurs non supprimés grâce à leur négociation avec François Bayrou. Bon bah, c’est un peu loupé. Compliqué de se poser en bouclier de la politique d’austérité de la coalition de droite au pouvoir et de devoir fermer 12 classes ». Cela dit, peut-être que ce compromis obtenu par le PS a permis de limiter la catastrophe cette année. En tout cas, en se concertant avec l’IA et en participant à des mobilisations et manifestations mêlant élus, parents d’élèves et syndicats d’enseignants, la majorité de gauche affirme avoir pu limiter la casse en « sauvant » trois classes, ramenant les fermetures à 9 classes pour la rentrée 2025 à Tours.
A Joué-lès-Tours, une droite bien discrète
Dans la deuxième ville d’Indre-et-Loire dirigée par la droite LR depuis 2014, cinq fermetures sont prévues par l’IA, notamment dans des établissements situés dans des quartiers populaires. Ici, parents et professeurs se sont organisés depuis un mois pour exiger un rendez-vous avec l’IA et alerter la presse, mais sans lien avec les élus de la majorité municipale. Le maire Frédéric Augis, absent ces derniers temps et affaibli à cause de sa condamnation pour injure à caractère raciste, ne semble pas vraiment prendre la main dans le dossier. Son dauphin politique, le conseiller municipal Judicaël Osmond, pourtant également vice-président en charge des collèges au Conseil départemental n’a pas non plus brillé par sa présence, peut-être trop occupé par ses autres responsabilités dans le mastodonte immobilier Arche (Citya, Lafôret, Guy Hocquet…). C’est finalement l’adjointe à l’éducation de Joué, Aude Goblet, par ailleurs vice-présidente métropolitaine en charge du logement ainsi que responsable de la communication et relations presse de l’association des Maires d’Île-de-France, qui a dû trouver un petit moment dans son emploi du temps surchargé pour gérer la mobilisation croissante.
Des parents d’une école classée en cité éducative, dispositif d’accompagnement à la réussite scolaire dans les quartiers défavorisés, ont ainsi finalement été reçus le 13 mars par Aude Goblet. L’entretien s’est visiblement révélé un peu décevant, l’élue refusant de vraiment soutenir le mouvement de protestation. Elle a préféré relativiser, affirmant que les familles de Joué n’étaient pas les plus à plaindre et que c’était pire dans les zones rurales, renvoyant la faute sur le gouvernement – qui compte pourtant des LR – et sur la politique d’austérité. Cependant inquiète par le projet des parents d’occuper l’école le soir même et d’organiser un blocage le lundi suivant, Mme Goblet a prévenu qu’elle ne cautionnerait pas ce genre d’agissements.
Également sollicité, le député de la circonscription – le socialiste Laurent Baumel –, a immédiatement apporté son soutien et rencontré parents et professeurs, tout en s’étonnant du manque de réactivité de la mairie de Joué-lès-Tours. Le député a demandé dans la foulée une entrevue avec l’IA afin de plaider la cause de l’école et la prise en considération de ses spécificités, notamment le contexte social compliqué et la présence de classes spécialisées pour l’accueil d’élèves allophones ou en situation de handicap, élèves par ailleurs régulièrement intégrés dans les autres classes, alourdissant les effectifs sans que cela soit pris en compte par les calculs de l’Inspection Académique.
Mise au courant du rendez-vous avec le député qui, du reste, compte pas mal de relais à Joué et qui pourrait bien soutenir un candidat de la gauche unie aux prochaines municipales dans une ville où le NFP a fait 65% des voix en juillet dernier, Mme Goblet a fini par écrire un courrier de soutien aux parents.
Lundi 17 mars, un collectif de parents a bel et bien organisé un blocus symbolique devant l’entrée d’une école pour alerter sur le caractère injuste et absurde de la situation – l’école perd une classe mais seulement… quatre élèves en tout –, sans qu’aucun élu de la mairie de Joué ne vienne faire acte de présence, et ce alors qu’une cadre de l’IA avait tout de même fait le déplacement. Un syndicaliste expérimenté s’étonne d’ailleurs « de la passivité des élus » de Joué à l’approche d’élections et de leur manque d’initiative pour négocier avec l’IA, alors même que les difficultés s’accumulent dans certains établissements, par exemple à l’école Langevin, avec des effectifs en croissance continue.
Et les grands perdants, comme d’habitude, ce sont les enfants
Également très mobilisés, les syndicats enseignants alertent sur les enjeux plus profonds de ces politiques d’austérité qui aboutissent à une augmentation du nombre d’élèves par classe, alors que cette problématique est déjà aiguë en France.
« On sait très bien comment ça va continuer tout ça, ça fait des années que ça dure. L’augmentation du nombre d’élèves par classe – 27 dans l’école où j’enseigne –, ça dégrade la qualité de l’enseignement. C’est encore pire avec la multiplication des problématiques sociales, psy et cognitives des élèves et la diversité de leurs origines culturelles, avec un enjeu fort en termes de maîtrise de la langue. Et bien sûr, les familles avec le plus de moyens seront les premières à partir vers le privé lorsqu’elles considéreront que la qualité de l’enseignement n’est plus suffisante. Ça va renforcer l’entre soi dans le privé – qui gagne des élèves dans le 37 hein ! – et la concentration des élèves les plus en difficulté dans le public, empêchant la mixité sociale et le travail sur les différences et le vivre-ensemble (…) Avec le départ des familles les plus aisées et parfois les plus investies, ce sont aussi des projets qui tombent à l’eau, et une limitation du lien entre enseignants et parents, et ça c’est au détriment de la dynamique de l’école. Et puis 27 enfants dans une classe plutôt que 21, c’est plus de bruit, moins de place pour les activités, c’est moins de temps pour les rendez-vous avec les parents et pour les accompagner éventuellement dans certaines démarches administratives. C’est aussi une charge mentale et un stress plus importants pour le prof, et de fait moins de patience en classe. Après on s’étonne qu’on connaisse des pénuries de recrutement. Qui veut de cette vie pro pour 2000 euros par mois ? La vocation on l’a, mais on n’est pas non plus des missionnaires » témoigne une professeure des écoles.
Pour l’heure, rien n’est définitivement acté, même si l’instance départementale compétente validera la carte scolaire de la rentrée 2025 le 31 mars prochain, avec encore des possibilités d’évolutions au cours de l’été en fonction des inscriptions… et des mobilisations.
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