Lors du Conseil municipal de ce lundi 24 mars, il sera question de baptiser l’espace devant le CCCOD « esplanade Jean Germain », en mémoire de l’ancien sénateur et maire socialiste de Tours, président de l’agglo et vice-président de la Région Centre-Val de Loire. Déjà évoquée il y a pile un an, l’idée a été accueillie dans une sympathique semi-unanimité des élus, certains communiquant même à ce sujet sur les réseaux sociaux, allant ostensiblement à la pêche aux likes.
Par Joséphine.
L’affaire dite des « mariages chinois »
Sans nier l’importance de Jean Germain pour la ville durant une vingtaine d’années (1995-2014) ni les conditions tragiques de sa disparition – un suicide le jour de l’ouverture de son procès -, il est difficile de comprendre comment un tel projet a pu germer et sembler si pertinent au Conseil municipal, droites, gauche, tous-ensemble-ouais.

Jean Germain avec Marisol Touraine lors de l’inauguration du tram de Tours.
On parle ici d’un élu accusé de complicité de prise illégale d’intérêts et de détournement de fonds publics qui a choisi de se supprimer avant d’affronter la Justice. Sa supposée maîtresse, Lisa Han, son directeur de cabinet et un directeur de société d’économie mixte liée à la mairie de Tours ont été lourdement condamnés en première et deuxième instance pour escroquerie, prise illégale d’intérêts, abus de biens sociaux, détournement et recel de fonds publics. On parle de 800 000 euros détournés par un montage et une mécanique qui montrent un pouvoir municipal en roue libre qui avait perdu de vue l’intérêt public et l’éthique de l’élu. Au procès, le Procureur regrette d’ailleurs que « Jean Germain [ait] tout au long de l’enquête esquivé, évité, voire refusé de répondre aux questions, comme s’il considérait qu’il était au-dessus de tout ça », les subordonnés de Germain déclarant de leur côté avoir subi des pressions de leur hiérarchie pour favoriser Mme Han et son business, elle qui a utilisé son influence et son poste à la Ville de Tours pour organiser des simulacres de mariages dans les belles salles de la Mairie, simulacres vendus à prix d’or à des touristes chinois amateurs de romantisme de carte postale.
Une drôle de symbolique
A quoi pensent donc les conseillers municipaux actuels avec cet hommage ? Quel peut bien être le message que veulent faire passer les élus avec cette « esplanade Jean Germain » ? Sont-ils à ce point-là coupés des réalités qu’ils ne saisissent pas la symbolique, dans un contexte très avancé de perte de confiance des citoyens ? Pensent-ils, par une récupération cynique et politicarde, utiliser la mémoire de Germain à de viles perspectives électoralistes pour les municipales de 2026 ? Se rendent-ils compte qu’en l’absence de renouvellement de la classe politique locale, une grosse proportion de ceux qui applaudissaient la proposition…était déjà là sous Germain – qui parfois leur a mis le pied à l’étrier –, même si certains ont changé depuis de parti, de circonscription et de discours, parfois à plusieurs reprises ?
Ces drôles de postures étaient déjà fréquentes à l’époque de l’affaire. Les élus étaient nombreux à refuser de voir la réalité en face et noyaient le poisson en parlant surtout du bilan politique de Jean Germain, de sa trajectoire, de son intelligence, accusant souvent explicitement la presse – et quelque part la Justice – de traîner dans la boue l’édile, en une sorte de cruauté crasse, un voyeurisme coupable, une morale d’Inquisiteur. Cela est devenu encore plus évident dans les prises de parole qui ont saturé l’espace médiatique en avril 2015, moment du suicide, avec les discours sur un Jean Germain devenu victime et martyre.
Hommage en bande organisée
En fait, ce micro-événement est profondément pathétique. Il n’est pas question ici de juger l’affaire Germain ou l’homme – laissons cela aux magistrats et aux prêtres – mais bel et bien d’analyser cette unanimité affichée autour du mythe Germain, lissé, dépolitisé, euphémisé. Comme si la figure politique de Germain et sa pratique du pouvoir – notamment le cumul délirant de mandats – ne posaient pas question. Comme s’il fallait oublier la fin de sa carrière. Comme si ce nom d’esplanade était une aspiration naturelle des Tourangeaux. Du reste, la palme de la dissonance revient à une bonne partie des élu.e.s de droite qui avaient dénoncé dans la presse le système Germain devenu fou – ce qui était su par tout le microcosme local dès la fin des années 2000 – et qui dix ans plus tard applaudissent à tout rompre l’idée de l’hommage. Et que dire de ces autres élu.e.s qui avaient été mis sur la touche politiquement par Germain et qui lui en voulaient… et qui sont devenus désormais les porte-drapeaux de la cause ?
Que le club des politiques professionnels locaux entende rendre hommage à l’un des leurs, pourquoi pas, ils l’ont déjà fait en baptisant une grande salle « Jean Germain » à l’Hôtel de Métropole. Mais là, il y a quelque chose de l’ordre du hold-up symbolique, alors même que la Ville de Tours consulte régulièrement la population pour constituer une petite liste de noms qui seront, à terme, « présents dans l’espace public tourangeau »… Sauf que Jean Germain, absent de cette fameuse liste, n’obtient les honneurs que par l’entremise de ses anciens collègues. Tant pis pour les dizaines de femmes célèbres prévues dans la liste à qui Germain grille la priorité, dans une ville qui ne compte pourtant que 7% de noms d’espaces publics féminisés.
Ce que cet hommage veut dire
Il y a un véritable problème de fond en Touraine. Et ce problème, c’est la culture du silence. Les quatre derniers présidents de l’intercommunalité tourangelle ont eu des démêlés avec la Justice pour des affaires de probité. Il y a eu Jean Germain (PS) donc. Puis Philippe Briand (LR), coupable d’escroquerie et de complicité de financement illégal de campagne électorale dans le cadre de la présidentielle 2012. Puis Wilfried Schwartz (PS puis DVG), condamné pour violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à huit jours par une personne dépositaire de l’autorité publique, sur un de ses subordonnés. Et enfin Frédéric Augis pour une injure à caractère racial envers un de ces collègues élus.
Philippe Briand a continué d’exercer ses mandats avec un bracelet électronique à la cheville, sans l’ombre d’une contestation de ses camarades politiciens. Wilfried Schwartz a continué d’hurler au complot tout au long de ses procès, et ce alors que la procédure avait démontré que deux figures politiques locales avaient demandé à plusieurs reprises à la victime de retirer sa plainte. Dans le cas de Frédéric Augis, la victime – un maire influent – n’a même pas déposé plainte, ce sont en réalité des associations qui ont porté l’affaire en justice. Tout ceci dans un contexte où, en France, deux présidents de la République et deux Premiers ministres ont également été condamnés dans des affaires mettant en cause leur probité et que nombre de ministres ces dix dernières années ont été inquiétés par la Justice.
Il est grand temps de mettre un terme à cette singularité française sans équivalent dans les pays occidentaux. Et d’arrêter avec les dissonances cognitives tourangelles qui permettent de faire à quelques jours d’intervalle un selfie avec Fabrice Arfi, auteur de « Pas tirés d’affaires » en 2022 où le journaliste met en évidence que « les affaires ne sont pas un rhume de la démocratie qui divertissent de l’essentiel, elles forment le combustible d’une fatigue morale qui ouvre la voie au pire : l’extrême droite qui n’est traditionnellement forte que de la faiblesse des autres » puis de baptiser une esplanade d’après Jean Germain, parlant dans la proposition de délibération d’un « parcours marqué par une épreuve judiciaire qui l’affecte profondément (…) il met fin à ses jours en laissant une empreinte durable sur le développement et le rayonnement de Tours ».
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